Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/661

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auraient réalisé ironiquement son mystère dans leur culte sanglant. Tradition suggestive. Ivres du sang des mâles, les Bacchantes n’aiment pas les amans de l’âme et les tuent quand elles peuvent. Peut-être aussi en voulurent-elles au fils d’Apollon d’avoir réveillé, pour un moment, en elles-mêmes, la dormante Perséphone, et d’avoir dédaigné leurs beaux corps tachetés de leurs nébrides, quand elles passaient sous les bois touffus de la Thrace avec leurs bras enroulés de serpens. Quoi qu’il en soit, Orphée mourant eut la certitude que la Grèce sacrée vivrait de son souffle, — et sa tête coupée, emportée par le fleuve avec sa lyre encore frémissante, est vraiment l’image de son œuvre.

Les Eumolpides devaient enrichir leur initiation et leur culte de la doctrine et de la tradition orphique. Elles venaient compléter leurs mystères par une large conception cosmique et une spiritualité plus haute. Cela advint sans doute vers le sixième siècle avant notre ère, au même moment où le culte populaire et orgiastique de Bacchus, refluant de Phrygie comme une onde de folie, bouleversait l’Hellade, semant à Thèbes, jusque sur les hauteurs du Cithéron et du Parnasse, des cortèges délirans d’hommes et de femmes, brandissant des thyrses et couronnés de pampres, suscitant du même coup un lyrisme passionné, inconnu au temps d’Homère, et une musique troublante, au bourdonnement du tambour et aux appels aigus de la double flûte, tandis que retentissait partout ce cri : Evios ! Evohé ! qui semblait vouloir évoquer du fond des bois et des antres de la montagne le Dieu de la vigne et de la joie. Ce fut pour endiguer ce mouvement et lui opposer une initiation plus haute, que les prêtres d’Eleusis adoptèrent le Dionysos orphique et le firent entrer dans le culte des Grandes Déesses. En même temps, la discipline devint plus sévère, et l’enseignement des initiés s’approfondit.

La religion d’Eleusis ne comprenait pas seulement les cérémonies, les représentations et les fêtes périodiques. A l’époque de sa floraison, avant les guerres médiques, l’essentiel des Mystères consistait dans les enseignemens de la sagesse secrète. On la communiquait aux mystes qui venaient pour un temps habiter dans l’enceinte du temple. On poursuivait l’entraînement psychique par des jeûnes, des méditations sur la nature de l’âme et des Dieux, par la claire concentration de la pensée avant le