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fondèrent nos cités et nos temples, il y en eut un qui partit de la Grèce pour conquérir l’Inde et revenir par l’Arabie et l’Asie Mineure en Thrace, avec son étrange cortège, en répandant partout le culte de la vigne et de la joie. Nous l’appelons le second Dionysos. Celui-là n’est pas né de la Déméter céleste, de la lumière incréée, comme le premier, mais d’une femme mortelle que les Grecs nomment Sémélé. Celle-ci, d’un désir téméraire, demanda à voir son Dieu dans toute sa splendeur et mourut foudroyée de son contact. Mais, de l’étreinte du Dieu inconnu, elle avait conçu un enfant divin. Apprends maintenant ce que nous enseigne cette aventure. Si l’homme d’aujourd’hui demandait à voir brusquement, avec ses yeux physiques, les Dieux, c’est-à-dire le dessous du monde et les puissances cosmiques, parmi lesquelles l’Atlante se mouvait naturellement parce qu’il était autrement organisé, l’homme d’aujourd’hui ne pourrait supporter ce spectacle effrayant, ce tourbillon de lumière et de feu. Il mourrait foudroyé, comme l’amante du Dieu, la trop brûlante Sémélé. Mais le fils de l’audacieuse mortelle, ce Dionysos, qui marcha jadis sur la terre comme un homme en chair et en os, vit toujours dans le monde de l’esprit. C’est lui le guide des initiés, c’est lui qui leur montre le chemin des Dieux ! Persévère… et tu le verras ! »

Or il arrivait qu’une nuit, dormant dans sa cellule du temple d’Eleusis, le myste faisait un rêve et voyait passer devant lui le Dieu couronné de pampres avec sa suite de Faunes, de Satyres et de Bacchantes. Chose étrange, ce Dionysos n’avait nullement les traits réguliers d’un Olympien, mais plutôt la face d’un Silène. Pourtant de son front sublime et de ses yeux jaillissaient des éclairs de voyance et des rayons d’extase, qui trahissaient sa nature divine. et le myste se disait : « Si un demi-dieu a eu cette forme, qu’ai-je été moi-même et que suis-je encore avec toutes mes passions ? » Alors il voyait se tordre devant lui une sorte de monstre, mélange de taureau, de serpent et de dragon furieux, qui le remplissait d’épouvante. Et cependant une voix intérieure lui criait implacablement : « Regarde bien, ceci c’est toi-même ! »

S’il racontait sa vision à l’hiérophante, celui-ci répondait : « Tu as trouvé Dionysos et il t’a fait voir le gardien du seuil, c’est-à-dire ton être intérieur, celui que tu as été dans tes nombreuses incarnations précédentes et que tu es encore en partie