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génération en génération par l’accumulation des crimes. La liberté humaine les a rendus possibles, mais l’homme, aidé de la sagesse divine, réagit. On reconnaît dans Oreste le sentiment de la responsabilité se dégageant de la fatalité qui l’enlace, sous le travail de la douleur et l’effort de la volonté. Les Erynnies qui l’assiègent ne représentent pas seulement le remords objectivé. Ce sont des puissances occultes créées par les fautes de l’humanité à travers les âges. Par ses écarts sanguinaires, l’homme a lancé lui-même dans l’atmosphère ces Furies vengeresses. Elles trouvent une emprise sur toutes les âmes qui, pour une raison quelconque, ont commis un crime. Oreste, que la fatalité de sa famille a poussé au meurtre de sa mère, se purifie à l’aide d’Apollon et de Minerve. Celle-ci institue pour lui le tribunal des Aréopages, qui remplace la loi du talion par une législation plus clémente, où le coupable qui reconnaît sa faute peut se libérer. Les Erynnies continueront à être des puissances redoutables, épouvantails des criminels, avertissemens pour tous, mais elles ne seront plus la vengeance sans pitié. A la fin de sa trilogie, Eschyle fait paraître un cortège de jeunes Athéniennes qui conduisent les Furies transformées en Euménides (en Bienveillantes) dans leur temple souterrain à Colone.

Paroles, situation et mise en scène donnaient à ce dénouement une sévérité grandiose. D’un côté, les terreurs de la nature vaincues, réconciliées, changées en puissances favorables, de l’autre, la cité heureuse sous l’égide des Dieux. La nuit elle-même, l’antique nuit du chaos, devenue sacrée, s’ouvre aux flambeaux d’Eleusis, et les hymnes de joie remplissent l’âme d’une félicité surhumaine. — Véritable scène d’initiation, transposée en drame religieux et en fête civique.

Dans son Prométhée, Eschyle alla bien plus loin. Son tempérament titanesque ne respectait pas toujours les limites imposées par la loi. Poussé par son génie, il eut l’audace de dévoiler à demi l’un des plus grands secrets des Mystères, ce qui, paraît-il, faillit lui coûter cher. On enseignait à Eleusisque l’homme, issu des Dieux, devient leur associé, prend en quelque sorte leur tâche en main, à mesure qu’il se développe et que, de leur côté, les Dieux, les puissances cosmiques se développent par l’homme et avec lui. Ce n’était nullement nier leur existence, mais les soumettre eux aussi à la grande loi de l’évolution universelle et reconnaître en l’homme leur héritier, ayant