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s’allume devant ce spectacle. Les Dieux ont beau descendre du ciel sur leurs chars dorés et déclamer des vers pompeux sous leurs masques peints. Dans leurs discours contradictoires, l’infatigable raisonneur voit l’Olympe tomber en poussière et s’évanouir toute la fantasmagorie mythologique. Aussi applaudit-il à tout rompre à ce passage d’un chœur d’Hippolyte : « Certes, la prévoyance des Dieux, quand elle s’impose à ma pensée, m’ôte mes inquiétudes ; mais à peine pensé-je l’avoir comprise que j’y renonce en voyant les misères et les actions des mortels. »

Ce mot fait voir l’abîme qui sépare l’œuvre d’Euripide de celle de ses prédécesseurs. Mêmes sujets, mêmes personnages, mêmes décors ; toute la légende homérique ; mais le sentiment religieux et la compréhension profonde de la vie ont disparu. Malgré la connaissance des passions, malgré le charme incomparable de la langue et d’innombrables beautés de détail, on n’y sent plus ce vaste coup d’œil qui embrasse l’ensemble de la destinée humaine et en perce le fond en pénétrant dans son au-delà. Le génie des Mystères n’est plus là, et, sans lui, tout se rapetisse, se ride, se flétrit et tombe en loques. — Le chœur a cessé d’être l’œil et la voix des Dieux, il ne représente plus que le peuple, la masse flottante, le vil troupeau, le vieillard trembleur et crédule, le citoyen Démos d’Aristophane. — Quant à ses héros, on a dit justement qu’Euripide « a mis le spectateur sur la scène. » Tous les grands personnages, dans lesquels le mythe glorifia les fondateurs de la civilisation grecque ont baissé d’un ou de plusieurs degrés dans l’échelle sociale. Hercule, ce type de l’initié dans ses douze travaux, est devenu un bon vivant généreux, mais vulgaire et grossier ; Jason, le conquérant de la Toison d’Or, un lâche pleurnicheur. A peine les Achille, les Ores te, les Pylade conservent-ils leur dignité. Euripide a créé des vierges exquises, mais ses caractères d’hommes sont en général faiblement tracés. Là où il est passé maître c’est dans la peinture des passions elles-mêmes quand elles sont devenues maîtresses de l’âme et qu’elles se substituent à l’individualité. De là les amantes féroces, Phèdre et Médée et la rugissante Hécube, tigresse des vengeances maternelles. — Reste le pathétique dont Euripide est l’inventeur. Personne ne sait comme lui exciter, la pitié, faire couler les larmes, mais c’est une pitié inféconde et débilitante, qui ne laisse au cœur