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trouver mal en apercevant M. de Voltaire. » Mme de Genlis avait rompu avec l’usage et contemplé Voltaire les yeux secs. Au fait, le témoignage de ces deux dames concorde-t-il ? Mme Suard avait vu en Voltaire un jeune vieillard, un châtelain galant et dameret. Le Voltaire que nous dépeint Mme de Genlis est tout autre. « Il était fort cassé et sa manière gothique de se mettre le vieillissait encore ; il avait une voix sépulcrale qui lui donnait un ton singulier, d’autant plus qu’il avait l’habitude de parler excessivement haut quoiqu’il ne fût pas sourd… Il me parut qu’il ne supportait pas que l’on eût sur aucun point une opinion différente de la sienne : pour peu qu’on le contredît, son ton prenait de l’aigreur et devenait tranchant. Il avait certainement beaucoup perdu de l’usage du monde qu’il avait dû avoir, et rien n’est plus simple : depuis qu’il était dans cette terre, on n’allait le voir que pour l’enivrer de louanges… » Je sais bien que le témoignage est sujet à caution. Je vous signale à ce propos une étude très distinguée que vient de publier M. Harmand sur Madame de Genlis[1]. Tout de même, les yeux de Mme Suard étaient prévenus. Soyons prudens, une fois de plus ; corrigeons une [déposition par l’autre ; et tenons-nous sagement dans le juste milieu.

II

Cependant, à mesure que l’expérience tentée par Turgot s’acheminait vers un échec et que l’opinion semblait se prononcer pour les idées de Necker, la colère de Condorcet ne connaissait plus de bornes. Necker venait, comme on l’a vu, de publier son ouvrage sur la Législation et le commerce des grains, où il reprenait pour les développer les idées qu’il avait déjà exposées dans son Eloge de Colbert : nous savons dans quel état violent elles avaient plongé Condorcet. De nouveau, avec plus d’insistance et surtout d’abondance, il faisait honneur à Colbert de l’établissement de plusieurs lois prohibitives soit contre la sortie des blés, soit contre l’entrée des fabriques étrangères. « Ces précautions, aujourd’hui calomniées, ne sont point des institutions sauvages, injustes, ni barbares… » Telle était la thèse qu’il soutenait en quatre cents pages aujourd’hui parfaitement

  1. 1 vol. chez Perrin.