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constataient leur qualité de membres du Croissant-Rouge, le Manouba a été arrêté en mer et conduit à Cagliari. Là, les autorités italiennes ont voulu obliger le capitaine du navire de livrer ses passagers, ce à quoi il s’est refusé énergiquement. Par malheur, il n’a pas persisté jusqu’au bout dans son refus, et nous nous hâtons de dire qu’il n’y a pas eu de sa faute : il n’a cédé que devant des ordres venus de notre ambassade à Rome. Le vice-consul de France à Cagliari avait approuvé sa résistance : tout d’un coup, il changea d’attitude. Que s’était-il passé ? Dès qu’il avait eu connaissance de la saisie, M. Poincaré avait envoyé à la fois un télégramme à notre vice-consul à Cagliari et à notre chargé d’affaires à Rome : l’ambassadeur, M. Barrère, était à Paris. Le télégramme adressé à notre vice-consul lui est arrivé intraduisible et a dû être retourné au quai d’Orsay pour être répété. Dans l’intervalle, notre chargé d’affaires à Rome, sur l’affirmation du gouvernement italien qu’il avait des preuves positives que les passagers ottomans étaient des officiers, a pris sur lui, sans en référer à Paris, d’inviter notre vice-consul à les faire livrer aux autorités italiennes à Cagliari, et c’est ce qui a été fait aussitôt. Il semble qu’il y ait eu là une sorte de fatalité.

Un télégramme intraduisible, une initiative intempestive de la part d’un de nos agens que nous n’aurions pas crue possible si elle ne s’était pas produite, ce sont là des circonstances qui déroutent le jugement, mais ne sauraient changer le fond des choses. Il n’en reste pas moins vrai que le gouvernement italien n’avait le droit, ni de saisir le Manouba, ni d’exiger la livraison des passagers ottomans et, à supposer même qu’il l’eût, — ce que nous n’admettons nullement, — il s’en était moralement dessaisi en demandant au gouvernement français de s’opposer à ce que les vingt-neuf Ottomans, après leur arrivée à Tunis, passassent en Tripolitaine. C’était une question de bonne foi. Le gouvernement français avait engagé la sienne ; il avait promis de s’assurer de la qualité des passagers ; est-il besoin de dire ce que nous avions le droit d’attendre du gouvernement italien ? Lorsque l’Italie s’est engagée dans la guerre tripolitaine, elle aurait recueilli la désapprobation du monde entier, à commencer par celle de ses alliés, si la France, la France seule, ne lui avait pas témoigné sa sympathie, s’abstenant de juger comme elle aurait pu le faire, elle aussi, une entreprise qui soulevait partout ailleurs tant de critiques. C’est ce qu’on aurait pu se rappeler à Rome au moment d’appliquer avec tant de sévérité à nos navires les règles un peu confuses du droit de visite en temps de guerre. M. Poincaré a été interrogé, comme il