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a fait sentir la nécessité d’avoir au moins 200 000 hommes toujours sur pied, tant que le système de ses rivaux serait de tenir en activité d’aussi nombreuses armées… Mais voici son coup de génie : il prétend se suffire à lui-même ! Il demande seulement à Sa Majesté qu’Elle lui laisse carte blanche pour toutes les réformes et réductions qu’il voudra faire, et il se fait fort de retrouver, sur de certaines économies ou suppressions, de quoi remplir son plan. S’il réussit, il aura la gloire d’avoir découvert la pierre philosophale de l’administration[1] ! »

Si l’on néglige la forme légèrement malveillante, la pensée qui dirige, du début à la fin, toute l’administration du nouveau secrétaire d’Etat est fort exactement résumée en ces lignes. Beaucoup d’hommes avec peu d’argent ; aucun accroissement de dépenses et de larges économies. C’est vers ce double but que convergent tous ses efforts, c’est dans l’espoir de le réaliser qu’il promulgue, en moins de deux ans, quatre-vingt-dix-huit ordonnances, un code complet, transformant entièrement toute l’organisation de son département, et c’est ainsi qu’il s’attire le surnom, — tenu alors pour injurieux, — de Maupeou militaire. Je n’entreprendrai pas ici l’analyse détaillée d’une œuvre aussi considérable. Il me suffira d’esquisser les principales réformes, d’en indiquer les conséquences, de raconter les fautes commises et les obstacles rencontrés[2]. Une fois de plus, en cette histoire, on verra la bonne volonté, la droiture, le courage, aux prises avec l’intrigue et la cabale des Cours, avec l’égoïsme des uns, la défaillance des autres. On y verra aussi une preuve nouvelle de cette vérité reconnue, que le bon sens et l’honnêteté ne peuvent rien sans le savoir-faire, que les plus belles idées ne portent aucun fruit, si l’on n’y joint la science du maniement des hommes.


II

Dans l’ordre d’idées indiqué, la mesure la plus importante qui devait s’offrir tout d’abord à l’esprit du ministre était

  1. L’Espion Anglais, novembre 1775.
  2. Pour tout ce qui va suivre, j’ai fait un grand usage de l’ouvrage consciencieux public en 1884 par M. Léon Mention, sous ce titre : le Comte de Saint-Germain et ses réformes, d’après les Archives du dépôt de la Guerre. Je l’indique ici une fois pour toutes, afin de n’y pas revenir à chaque page.