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vivement ; il redoutait d’accroître ainsi la puissance d’un collègue dont l’esprit l’inquiétait. Mais il lui conseilla, pour l’aider dans sa tâche, de doter l’administration d’un rouage nouveau, par l’adjonction d’une sorte de « second, » qui recevrait le titre de « directeur de la Guerre » et qui suppléerait le ministre en quelques-unes de ses fonctions. Une grave fluxion de poitrine qui, en janvier 1776, faillit emporter Saint-Germain, acheva de le déterminer à prendre ce parti dangereux. Une deuxième balourdise aggrava la première, car il accepta pour ce poste l’homme que lui désignait Maurepas.

Alexandre-Marie Léonor de Saint-Maurice[1], comte de Montbarey, devenu prince du Saint-Empire à beaux deniers comptans, lieutenant général des armées, commandant des Suisses de Monsieur, deux fois blessé dans la guerre de Sept ans, devait surtout son crédit à la Cour à son mariage avec Mlle de Mailly, cousine de Mme de Maurepas. C’était, disent les chroniques, une femme spirituelle, intrigante, dominant par son influence la comtesse de Maurepas qui, flattée de cette parenté[2]avait fait d’elle son inséparable compagne. Par une favorable rencontre, le prince de Montbarey, — ainsi se faisait-il appeler, — était lié de longue date avec le comte de Saint-Germain. Originaire comme lui de Franche-Comté, il lui avait, au temps de sa disgrâce, proposé l’hospitalité dans un de ses châteaux ; il lui avait même, assure-t-on, en apprenant plus tard sa ruine, offert une somme d’argent pour l’aider à payer ses dettes ; il s’était acquis de la sorte des titres à sa gratitude. Aussi lorsque Maurepas, sous l’inspiration de sa femme, souffla à Saint-Germain le nom de Montbarey, il ne trouva guère d’objection et le décret nommant le nouveau directeur fut signé par le Roi le 25 janvier 1776.

Le prince de Montbarey raconte, dans ses Mémoires, l’excellent accueil qu’il reçut, le jour de son installation, de son vieil et naïf ami : « Il avait fait rassembler dans son cabinet tous les agens principaux de son ministère. Lorsque j’y entrai, il me sauta au col et me présenta à ces messieurs en leur disant que j’étais directeur de la Guerre et par conséquent un second lui-même, en qui il mettait toute sa confiance… Rien ne peut égaler les marques d’amitié paternelle qu’il me donna

  1. Il était né à Besançon, le 20 avril 1732.
  2. Journal du duc de Croy, février 1776.