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profitait habilement, se gardant bien débattre en brèche les mesures proposées et d’élever autel contre autel, mais témoignant, par son silence, par ses réticences calculées, quelquefois au moyen d’un mot tombé comme par mégarde, sa désapprobation intime. Il n’en fait d’ailleurs pas mystère : « Je me contentais, écrit-il[1], de faire sentir, quand j’étais consulté, que je n’étais pas du même avis que M. de Saint-Germain, sans chercher à faire prévaloir le mien. » Une occasion s’offrit bientôt d’éprouver et montrer sa force. En mai 1776, le comte de Saint-Germain appelait à ses côtés, avec le titre d’ « intendant de l’armée, » un homme de robe, un administrateur de race et de métier, un ancien ami de Turgot, le sieur Sénac de Meilhan, chargé de guider le ministre parmi les affaires contentieuses, civiles et financières se rattachant au département de la Guerre. A cette nouvelle, le prince de Montbarey allait trouver Maurepas, prétendait que cette adjonction portait atteinte à ses prérogatives, compromettait sa dignité, et remettait sa démission. Maurepas, fort irrité, mandait sur-le-champ Saint-Germain, exigeait des explications, le tançait vertement, l’intimidait si bien qu’il lui arrachait le retrait de la nomination déjà faite et signée. Cette déroute humiliante avait le double résultat de discréditer le ministre et de lui attirer la rancune acharnée de Sénac de Meilhan.

A dater de cet incident, qui avait tourné à sa gloire, Montbarey, enivré d’orgueil, se jugea maître de la place, et il ne songea plus qu’à précipiter sa fortune. La santé précaire du ministre servit ses ambitieux desseins. « Le comte de Saint-Germain, dit-il[2], baissait à vue d’œil, sa tête s’affaiblissait… Il était si tourmenté qu’il en perdait le sommeil. » Tel fut le prétexte invoqué pour arracher au malheureux une capitulation nouvelle. Le 5 novembre 1776, le prince de Montbarey, à la demande de M. de Maurepas et avec l’agrément du comte de Saint-Germain, était nommé, par une innovation étrange, « secrétaire d’Etat pour la Guerre en survivance, » c’est-à-dire le coadjuteur du ministre en fonctions et son successeur désigné ; il devenait ainsi « le prince héréditaire, » comme bouffonnait Maurepas. Il recevait pour cet emploi 60 000 livres d’appointemens et il entrait au Conseil des Dépêches, où il se

  1. Mémoires de Montbarey.
  2. Ibid.