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à cet égard, de résumer en quelques mots la dialectique de M. Bergson.

Le premier obstacle que rencontre l’affirmation de notre liberté vient du déterminisme physique. La science positive, dit-on, nous présente l’univers comme une immense transformation homogène, maintenant une exacte équivalence entre le point de départ et le point d’arrivée. Dès lors comment serait possible cette création véritable qu’on veut apercevoir dans l’acte appelé libre ? Mais l’universalité du mécanisme n’est au fond qu’une hypothèse qui attend encore qu’on la démontre. Elle enveloppe d’une part la conception paralléliste que nous avons reconnue caduque. Et d’autre part il est clair qu’elle ne saurait se suffire. Au moins exige-t-elle en effet qu’il y ait quelque part un principe de position par où soit une fois donné ce qui ensuite se conservera. En fait, le cours des phénomènes manifeste le jeu de trois tendances concertées : tendance à la conservation, cela n’est point douteux, mais aussi tendance à la chute, comme dans la dégradation de l’énergie, et tendance au progrès, comme dans l’évolution biologique. Faire de la conservation l’unique loi des choses implique un décret arbitraire par lequel soient désignés les seuls aspects du réel que l’on comptera pour quelque chose. De quel droit exclure ainsi, avec l’effort vital, le sentiment même de la liberté, si vivace en nous ?

On pourrait dire, il est vrai, que notre vie spirituelle, si elle n’est pas simple prolongement du mécanisme extérieur, procède cependant selon un mécanisme interne, tout aussi rigoureux, quoique d’un genre différent. Ce serait l’hypothèse d’une sorte de mécanisme psychologique, hypothèse qui, à bien des égards, semble celle du sens commun. Je n’ai pas à y insister, après tant de critiques déjà faites. La réalité intérieure, — innombrable, — n’a rien d’un échelonnement de termes distincts où se puisse déverser en cascade une causalité nécessitante. Et le mécanisme que l’on rêve n’a de sens vrai, — car, tout de même, il en a un, — que relativement aux phénomènes superficiels qui s’accomplissent dans notre écorce morte, relativement à l’automate que nous sommes dans la vie journalière. Je veux bien qu’il rende compte de nos actions communes, mais c’est ici notre conscience profonde qui est en cause, non le jeu de nos habitudes matérialisées.

Sans donc nous appesantir davantage sur cette conception