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suffisamment par leur intersection, par leur convergence. « C’est ainsi que l’on mesure la distance d’un point inaccessible en le visant tour à tour des points d’où l’on a accès. » Ne serait-ce pas le cas ici ? Il semble d’autant plus inévitable de l’affirmer que le langage transformiste est le seul que puisse parler la biologie actuelle. L’évolution, en effet, peut bien être transposée, mais non supprimée, puisqu’en tout état de cause il resterait toujours ce fait éclatant que les formes vivantes rencontrées à l’état de vestiges dans la suite géologique des terrains, se rangent par l’affinité naturelle de leurs caractères dans un ordre de succession parallèle à la succession des âges. Nous ne faisons donc pas véritablement une hypothèse en posant dès le principe l’affirmation évolutionniste. Mais il importe de bien concevoir son objet.

L’évolution ! Le mot est partout aujourd’hui. Mais l’idée vraie ? Combien rare ! Interrogeons les astronomes auteurs d’hypothèses cosmogoniques et leurs fictions de nébuleuse primitive, les physiciens qui rêvent par la dégradation de l’énergie et la dissipation du mouvement le repos final du monde matériel dans l’inertie d’un équilibre homogène, les biologistes et les psychologues ennemis des espèces fixes et curieux d’histoire ancestrale. Ce qu’ils se préoccupent de discerner dans l’évolution, c’est l’influence persistante d’une cause initiale une fois donnée, c’est l’attraction d’une fin immobile, c’est un faisceau de lois devant l’éternité desquelles le changement devient négligeable ainsi qu’une apparence. Or celui qui conçoit l’univers comme un édifice d’immuables rapports, celui-là nie par sa méthode l’évolution dont il parle, puisqu’il la transforme en un effet calculable produit nécessairement par un jeu réglé de conditions génératrices, puisqu’il admet implicitement le caractère illusoire d’un devenir qui n’ajoute rien au donné. La finalité même, s’il en conserve le nom, ne le sauve pas de son erreur, car finalité pour lui n’est qu’efficience projetée dans l’avenir. Aussi le voyons-nous fixer des étapes, marquer des époques, insérer des moyens, poser des bornes milliaires, toujours détruire le mouvement en l’arrêtant devant ses regards. Ainsi d’ailleurs faisons-nous tous par une inclination instinctive. Notre concept de loi, sous sa forme classique, n’est pas général : il ne représente que la loi de coexistence, la loi de mécanisme, le rapport statique entre deux termes numériquement disjoints ;