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et pour saisir l’évolution il nous faudra sans doute inventer un nouveau type de loi : la loi dans la durée, le rapport dynamique. Car on peut concevoir, — et ne le faut-il pas ? — qu’il y ait une évolution des lois naturelles, que celles-ci ne définissent jamais qu’un état de choses momentané, qu’elles soient au fond comme des stries déterminées dans le flux du devenir par la rencontre de courans contraires. « Les lois, dit M. Boutroux, sont le lit où passe le torrent des faits : ils l’ont creusé, bien qu’ils le suivent. » Voyez cependant les théories communes de l’évolution faire appel aux concepts du présent pour décrire le passé, refouler jusque dans la préhistoire et au-delà la raison d’aujourd’hui, placer à l’origine ce qui ne se conçoit que pensé par l’homme contemporain, bref, se représenter les mêmes lois comme toujours subsistantes et toujours respectées. C’est la méthode justement critiquée par M. Bergson chez Spencer : reconstruire l’évolution avec des fragmens de l’évolué.

Si l’on veut saisir au vif la réalité des choses, il faut penser autrement. Mécanisme et finalité, aucun de ces concepts tout faits ne convient, parce qu’ils impliquent tous deux le même postulat, à savoir que « tout est donné, » soit au début, soit au terme, alors que l’évolution n’est rien si elle n’est au contraire « ce qui donne. » Gardons-nous de confondre évolution et développement. Là est la pierre d’achoppement des théories transformistes habituelles, et M. Bergson en fait une critique serrée, singulièrement pénétrante, sur un exemple qu’il analyse jusqu’au détail. Ou bien elles n’expliquent pas la naissance de la variation et se bornent à essayer de faire comprendre comment, une fois née, elle se fixe ; ou bien c’est par un besoin d’adaptation qu’elles cherchent à en concevoir la naissance. Mais, dans un cas comme dans l’autre, elles échouent. « La vérité est que l’adaptation explique les sinuosités du mouvement évolutif, mais non pas les directions générales du mouvement, encore moins le mouvement lui-même. La route qui mène à la ville est bien obligée de monter les côtes et de descendre les pentes : elle s’adapte aux accidens du terrain ; mais les accidens du terrain ne sont pas cause de la route et ne lui ont pas non plus imprimé sa direction. » Au fond de toutes ces méprises, il n’y a que préjugés de l’action pratique. C’est pour celle-ci en effet que toute œuvre se présente comme une fabrication par le dehors à partir d’élémens antérieurs : phase de prévision