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Dans cette conception de l’être, la conscience est partout, comme la réalité originelle et fondamentale, toujours présente à mille et mille degrés de tension ou de sommeil et sous des rythmes infiniment divers. L’élan vital consiste en une « exigence de création ; » la vie, à son plus humble stade, constitue déjà une activité spirituelle ; et son effort lance un courant de réalisation ascendante, qui à son tour détermine le contre-courant de la matière. Ainsi tout le réel se résume en un double mouvement de montée et de descente. Le premier seul, qui traduit un travail intérieur de maturation créatrice, dure essentiellement ; le second, en droit, pourrait être presque instantané, tel celui d’un ressort qui se détend ; mais l’un impose à l’autre son rythme. Esprit et matière apparaissent de ce point de vue non pas comme deux choses qui s’opposeraient, termes statiques d’une antithèse immobile, mais plutôt comme deux sens inverses de mouvement ; et, à certains égards, il faut donc moins parler de matière ou d’esprit que de spiritualisation et de matérialisation, celle-ci résultant d’ailleurs automatiquement d’une simple interruption de celle-là. Conscience ou supraconscience est la fusée dont les débris éteints retombent en matière. » Quelle image de l’évolution universelle nous est alors suggérée ? Non pas une cascade déductive, ni un système de pulsations stationnaires, mais un jet qui s’épanouit en gerbe et qu’arrêtent partiellement ou du moins gênent et retardent les gouttelettes retombantes. Le jet lui-même, la réalité qui se fait, c’est l’activité vitale, dont l’activité spirituelle représente la forme la plus haute ; et les gouttelettes qui redescendent, c’est le geste créateur qui retombe, c’est la réalité qui se défait, c’est la matière et c’est l’inertie. En un mot, la loi suprême de genèse et de déchéance dont le double jeu constitue l’univers comporte une formule psychologique. Tout commence à la manière d’une invention, fruit de la durée et du génie créateur, par la liberté, par l’esprit pur ; puis vient l’habitude, sorte de corps comme le corps est déjà un groupe d’habitudes ; et l’habitude s’invétérant, œuvre de la conscience qui lui échappe et se retourne contre elle, peu à peu se dégrade en mécanisme où l’âme s’ensevelit.