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ses démarches ; mais il opère avec une incomparable sûreté, parce qu’il demeure inséré dans les choses, communiant à leur rythme et les sentant de l’intérieur. L’histoire des animaux fournit à cet égard des exemples bien significatifs, que M. Bergson analyse et discute avec détail. On en dirait autant du travail qui engendre un corps vivant, de l’effort qui préside à sa croissance, à son entretien, à son fonctionnement. Voyez encore un physicien qui a longtemps respiré l’atmosphère du laboratoire, qui s’est acquis par un long exercice ce qu’on appelle « de l’expérience ; » il a comme un intime sentiment de ses appareils, de leurs ressources, de leurs articulations, de leurs aptitudes opératoires ; il les perçoit comme des prolongemens de lui-même ; il les possède comme des groupes de gestes habituels, discourant dès lors en manipulations avec autant d’aisance et de spontanéité que d’autres discourent en calculs. Ce n’est là sans doute qu’une image ; transposez-la cependant et la généralisez : elle pourra vous faire pressentir le genre diction divinatoire de l’instinct. Mais l’intelligence est tout autre chose. Il s’agit, bien entendu, de l’intelligence analytique et discursive, celle dont nous usons dans nos actes de pensée courante, celle qui fonctionne au cours de notre action quotidienne et qui forme la trame fondamentale de nos opérations scientifiques. Je n’ai pas à revenir ici sur la critique de ses procédés ordinaires. Mais il faut noter maintenant le service qui leur convient, le domaine où ils s’appliquent et valent, et ce qu’ils nous apprennent par là sur la signification, la portée, le rôle naturel de l’intelligence. Tandis que l’instinct vibre en harmonie sympathique avec la vie, l’intelligence est accordée sur la matière inerte ; c’est une annexe de notre faculté d’agir ; elle triomphe dans la géométrie ; elle se sent chez elle parmi les objets où notre industrie trouve ses points d’appui et ses instrumens de travail. Bref, « notre logique est surtout la logique des solides. » Mais entre-t-on dans l’ordre vital ? Voici que son incompétence apparaît et s’accuse. Il est très significatif que la déduction soit si impuissante en biologie. Plus encore peut-être l’est-elle dans les choses de l’art ou de la religion, tandis qu’elle fait merveille au contraire tant qu’il ne s’agit que de prévoir mouvemens ou transformations dans le » corps. Qu’est-ce à dire, sinon qu’intelligence et matérialité vont ensemble, sinon que le discours avec ses démarches