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contredira. Qu’il puisse changer plus tard, nul n’y contredira davantage ; mais s’il ne le fait pas à l’aveugle, ce sera presque toujours en se servant d’une expérience acquise en un métier auquel il aura été préparé de bonne heure et directement, sans quoi il ne pourrait se dire bon à tout qu’en n’étant en réalité bon à rien, si ce n’est à des essais sans suite, sans méthode et sans efficacité.

Ne confondons pas le point de départ qui, à notre avis, s’impose presque toujours, avec le point d’arrivée, qui est libre, ou qui tout au moins peut varier selon les circonstances et selon les efforts des gens. Le point de départ, qui est en même temps un point d’appui, ne peut être que délimité : le parti qu’on en peut tirer dans l’avenir ne l’est pas. Dire que l’enfant doit tout d’abord être fortement imprégné des idées, des sentimens, des ressources de sa famille et de sa classe comme de sa province, ce n’est pas nécessairement lui fermer tout autre horizon ; c’est lui faire la provision de lest qui lui est nécessaire pour s’élever plus haut. Les meilleures aristocraties se sont toujours enrichies d’hommes qui leur apportaient, avec la conscience de leurs mérites personnels, les vertus formées et appliquées dans la classe dont ils sortaient. Ces derniers venus renouvelaient périodiquement, par un apport de qualités techniques, la classe dans laquelle, après les étapes nécessaires, ils venaient de pénétrer.

Dans les différentes sections du monde du travail, il en est de même. Le nouveau n’est jamais si nouveau qu’il ne s’appuie sur les expériences et sur les acquisitions de l’ancien. Lorsque la marine s’est transformée par la vapeur et par la cuirasse, elle a si bien trouvé ses meilleurs marins dans le personnel de la voile, qu’elle a voulu assez longtemps entretenir des survivans du vieux système, uniquement pour conserver tout ce qu’avait de bon le service désormais remplacé. Le directeur d’une grande école d’imprimerie exposait de même que la linotypie donnait surtout de bons résultats entre les mains de ces compositeurs qu’on aurait pu croire appelés à une retraite définitive, de même que les omnibus trouvent leurs meilleurs chauffeurs parmi les cochers qui savaient le mieux conduire leurs chevaux.

Il n’y a donc que des avantages pour l’avenir comme pour le présent, à apprendre aux futurs travailleurs un seul métier, celui qui est le plus à leur portée et à faire qu’ils le connaissent