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presque anéantir en elle ce trésor où les meilleurs de nos écrivains, les La Fontaine, les George Sand, les François Coppée ont été si bien inspirés et si heureux d’aller puiser. La vraie langue, la bonne langue, — qui ne le sait ? — se fait par la collaboration du peuple qui invente et des académiciens qui adoptent, expliquent, rectifient. Elle est surtout gâtée par les demi-savans et les demi-lettrés.


Voilà donc une première nécessité : mettre à la portée de tous ceux qui ont besoin de gagner leur vie par le travail manuel un enseignement pratique, adapté aux ressources comme aux exigences du milieu familial et régional.

Voici maintenant la seconde : à cette foule souvent très en peine de trouver au jour le jour la satisfaction de besoins urgens, assurer une élite qui renouvelle les conditions d’existence de l’ensemble entier de la société. Celui-là même qui ne voudrait s’inquiéter que des intérêts de la vie positive devra reconnaître qu’on ne peut point se passer d’une élite. Les ruraux savent tous que s’ils n’introduisaient pas de temps à autre dans leur bétail et dans leur culture des sujets de choix, bêtes et plantes auraient vite fait de dégénérer et de retourner à cet étal de sauvageons d’où les avaient tirées des sélections intelligentes. Il en est de même pour toutes les formes de l’industrie humaine.

Mais, dira-t-on, cette élite se forme toute seule. Il est inévitable qu’en toute profession se révèlent des travailleurs mieux doués, plus attentifs… Ceux-là occupent les premiers rangs et entraînent les autres à leur suite ! — Ceci est vite dit : la réalité est un peu plus complexe.

Non ! il ne suffit pas qu’un homme s’élève au-dessus de ceux de son groupe pour que cette supériorité, toute relative, fasse de lui le bienfaiteur de ses compagnons de travail ; car si cette supériorité est trop facilement acquise, elle est, en somme, étroitement bornée. La plupart du temps, ce premier ouvrier est lui-même trop esclave de son métier pour pouvoir faire beaucoup plus que de mieux s’accommoder et de mieux profiter personnellement des procédés accoutumés. C’est pourquoi on voit tant de populations garder pendant des siècles les moyens d’action les plus primitifs et les coutumes les plus arriérées.