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II

Suffira-t-elle pourtant à le faire durer toujours ? A l’heure actuelle, la liberté dont jouissent, les uns vis-à-vis des autres, les divers membres de l’Empire Britannique semble à beaucoup un peu anarchique. Chacune des colonies est absolument maîtresse de sa législation intérieure, civile, criminelle, administrative, commerciale, sociale ; elle est maîtresse de ses tarifs douaniers, à l’égard de la mère patrie comme des pays étrangers ; elle est maîtresse d’organiser sous la forme où elle l’entend, ou de n’organiser point, des forces de terre ou de mer pour concourir en cas de guerre à la défense de l’Empire. Il n’existe aucune institution qui représente l’ensemble de cet Empire et puisse légiférer pour lui. Sur le terrain judiciaire seulement, le Conseil privé de la Couronne, recruté exclusivement en Grande-Bretagne, constitue une Cour de Cassation générale. C’est le dernier vestige, maintenu grâce à l’extrême prudence de ses arrêts, de l’autorité de la métropole sur les colonies. L’unité politique de l’Empire apparaît comme plus théorique que pratique ; elle ne repose que sur le bon vouloir des parties composantes ; au point de vue commercial comme au point de vue militaire, comme au point de vue législatif, elle ne se traduit, ou du moins, il y a quelques années encore, elle ne se traduisait effectivement par rien. L’impérialisme, dans le sens le plus large du mot, n’est autre chose qu’une tendance à resserrer, à fortifier les liens actuellement si lâches entre la mère patrie et ses filles émancipées, et le rôle des conférences coloniales d’hier, des conférences impériales d’aujourd’hui et de demain, c’est de trouver les moyens d’opérer ce resserrement.


Jadis, au début du règne de Victoria, disait M. Asquith, premier ministre d’Angleterre, le 23 mai dernier, en ouvrant la Conférence impériale, il se présentait deux solutions brutales et simples de ce que les hommes d’État d’alors considéraient avec quelque impatience comme « le problème colonial. » L’une était la centralisation, — consistant à gouverner toutes les dépendances de l’Empire d’un bureau situé à Londres. L’autre était la désagrégation, — d’aucuns acquiesçaient, si même ils ne l’encourageaient, à un processus d’essaimages successifs, grâce auxquels, sans l’amertume que laissent les tentatives de coercition, chaque communauté coloniale, au fur et à mesure de son accession à la majorité politique, suivrait l’exemple des colonies américaines et se mettrait à vivre de sa vie propre, indépendante et souveraine.