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mais si rien ne vient en troubler le cours, les générations suivantes en profiteront comme nous profitons aujourd’hui de l’admirable effort que nos pères ont fait en Algérie. Alors, les misères du temps présent seront emportées dans l’oubli avec ceux qui les auront éprouvées. On ne verra plus que les résultats. Notre politique africaine paraîtra s’être développée suivant une suite logique, d’après une pensée constante qui aura porté successivement notre drapeau d’Alger à Tunis et à Sfax, puis à Fez, à Casablanca, à Agadir. C’est une perspective à laquelle une imagination patriotique ne saurait demeurer insensible, s’il est vrai, comme l’a dit M. Thiers et comme M. Ribot l’a répété après lui, que certaines questions ne se résolvent pas seulement par les règles de l’arithmétique : peut-être faut-il abandonner quelque chose à la fortune et un pays trouve-t-il dans une entreprise aventureuse, qui l’oblige à tendre tous les ressorts de son énergie, ce je ne sais quoi d’où viennent la grandeur et le prestige. En tout cas, l’heure de la délibération est passée et, comme dit Pascal, nous sommes embarqués. Il ne s’agit plus désormais que de savoir comment nous établirons notre protectorat, quelles en seront les règles, suivant quelle méthode nous retendrons peu à peu sur un pays dont les trois quarts n’ont jamais connu aucune autorité. M. Ribot a eu raison de dire qu’ici tant vaut l’homme, tant vaut la chose ; on a eu autrefois la main heureuse en confiant à M. Paul Cambon l’organisation du protectorat tunisien ; l’aura-t-on de même au Maroc ? De nombreuses questions politiques, administratives, financières, militaires se présentent à l’esprit et s’y pressent : ce n’est pas à Paris, dans les bureaux d’un ministère, qu’elles peuvent être résolues, c’est à Fez, à Mekinès, à Casablanca, in médias res. Mais à chaque jour suffit sa tâche. Celle d’hier a été lourde : puisse celle de demain se contenter d’être difficile !


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, FRANCIS CHARMES.