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LA
MORALE ET LA RELIGION HUMANITAIRES

Science nouvelle, encore quelque peu incertaine en ses méthodes, en ses principes, en ses conclusions, la sociologie n’en a pas moins les généreuses ambitions de la jeunesse et s’efforce même de tout absorber. Après la « socialisation » du droit, on poursuit de nos jours celle de la morale. Selon la plupart des sociologues, la moralité n’est qu’un ‘phénomène social, un moyen par lequel la collectivité adapte l’individu à ses fins. Les devoirs, même individuels, ne sont que des observances sociales ; la « voix de la conscience » est la voix de la société, divinité nouvelle dont toutes les autres n’étaient que des préfigurations. Ainsi, en face des libertaires, qui ont le culte de l’individu[1], se dressent les nouveaux humanitaires, qui ont le culte de la société. Ils font dériver du groupe social tout ce qui fait de l’individu une personne ; c’est l’humanité qui fait l’homme, qui change la brute en animal raisonnable. Déjà Auguste Comte avait soutenu cette doctrine ; les néo-positivistes la soutiennent à leur tour. Faisant de la morale un produit social, une nécessité sociale, un art social, ils la <(socialisent » de toutes les manières et (dans tous les sens possibles du mot. La religion même leur paraît un ensemble d’institutions destinées à assurer, par des représentations collectives et sous des formes symboliques, l’unité, la cohésion intérieure et le progrès de la société. De la religion ainsi conçue la morale n’est qu’un dérivé.

  1. Voyez, dans la Revue du 15 février 1911, notre étude sur la Morale libertaire.