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la beauté antique ; l’antiquité, conçue comme offrant le modèle de la vie raisonnable, des facultés humaines dans leur plein équilibre, se développant harmonieusement dans la joie que procurent l’exercice modéré et la culture savante de toutes nos puissances, tel est le programme commun à toute cette époque, et que nous connaissons encore sous le nom d’ « humanisme. » On y oppose le « naturel » de l’Ancien au « mysticisme » du moyen âge, mal à l’aise en ce monde, troublé par le surnaturel. Tout l’effort du siècle est de faire revivre le monde païen. Quand on demandait à Cyriaque d’Aucune à quoi il s’occupait, feuillant les manuscrits et interrogeant le sol : « Je ressuscite les morts ! » disait-il. Et Machiavel écrit : « Cette terre d’Italie est une terre de résurrections. » Ce fut un événement à Rome, lorsque des ouvriers qui retournaient un champ, près de la Voie Appienne, découvrirent un sarcophage où se retrouva intact le corps d’une jeune fille. C’était l’Antiquité qui reparaissait au jour : fraîche, souple, ayant encore aux joues les roses de la vie, elle semblait sourire de ses lèvres entr’ouvertes et prête à se réveiller d’un long enchantement. Tout le monde reconnut en elle Tullia, la fille bien-aimée que les lettrés pleuraient encore en Usant les plaintes désolées du plus éloquent des Romains. La ville entière défila devant sa dépouille charmante. Le Pape en prit ombrage et fit enlever le corps, qui fut enfoui, la nuit, dans une vigne du Pincio. Mais le virginal fantôme continua de flotter devant les yeux de Rome ; au dire des témoins, la morte passait en beauté les plus belles des vivantes ; elle était d’une grâce inconnue à nos jours, comme si la nature s’était lassée de produire de pareils chefs-d’œuvre.

Or, cette naïve idolâtrie, cette foi en la vertu supérieure de l’antique, n’arrêtent nullement le vandalisme. La Renaissance n’épargne pas plus l’antiquité que le moyen âge. Dans le livre émouvant de M. Lanciani, la Destruction de Rome antique, le chapitre du XVIe siècle est un des plus chargés. Le déluge des invasions avait laissé la Aille presque entière jusqu’au XIIe siècle : les hordes successives des Huns, des Goths, des Lombards, des Sarrasins et des Normands n’avaient presque rien pu contre ses assises inébranlables. C’est Rome elle-même qui prit sur elle son lent suicide ; et l’origine en remonte aux débuts de la Renaissance et à l’art charmant des Cosmates. Ces splendides revêtemens de marbre des églises toscanes, la diaphane cathédrale et le baptistère de Pise, les dômes resplendissans de Lucques et d’Orvieto, certains morceaux de Westminster même, sont un luxe arraché aux monumens romains :