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UN SALON D’HIER

C’est très difficile, quand on a fait un livre et qu’il a eu du succès, de n’en pas faire un second, et quand on a commencé d’écrire ses Mémoires, de ne pas continuer par écrire les Mémoires des autres. Le livre que publiait, il y a un an, le directeur du Gaulois sous ce titre : Ce que mes yeux ont vu, fut, si je ne me trompe, le plus grand succès de librairie de l’année. Le public avait estimé, non sans raison, qu’après quarante ans et plus de vie parisienne et de journalisme, un témoin placé aux premières loges, et qui avait ses entrées dans les coulisses, devait avoir de ses yeux vu de bien curieux spectacles. Ce premier livre était écrit un peu au hasard, sans plan bien déterminé et sans autre dessein que d’égrener les souvenirs à mesure qu’ils se présentaient. Cette fois, pour mettre plus d’ordre dans sa narration, M. Arthur Meyer a adopté un cadre suffisamment précis : celui d’un salon qui fut, parmi ceux d’hier, un des plus brillans. Il s’y tient, mais il ne s’y’confine pas. Il regarde par les fenêtres. Il recueille les bruits qui viennent du dehors. Il répète ce qu’il a entendu, ou du moins ce qu’il en peut dire. C’est le titre même de son nouveau volume : Ce que je peux dire[1]. Il se trouve que, de tant de gens qu’il a connus, il ne peut ou il ne veut dire que du bien. Cette bienveillance universelle nous cause-t-elle quelque déception ? Ou n’est-elle pas plutôt ici la marque tout à fait originale du mémorialiste ? Le plus ordinaire aliment des Mémoires, c’est la médisance. La postérité ne s’amuse qu’aux potins et les préfère scandaleux : c’est en quoi elle est pareille aux contemporains. Ici règne un optimisme sans mélange. Tous les hommes sont intelligens, actifs, spirituels, tous les orateurs sont éloquens, tous les écrivains écrivent en français, et toutes les femmes au corsage fleuri n’ont jamais eu que des relations innocentes. On est charmé — et un peu surpris — de trouver tant d’ingénuité chez un vieux Parisien.

  1. Ce que je peux dire, par M. Arthur Meyer, 1 vol. in-16 ; Plon.