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quelques victimes. Cette opération de guerre est régulière, mais nous doutons qu’elle soit efficace : en revanche, si elle se renouvelle, les intérêts des Européens seront lésés plus ou moins gravement. C’est peut-être sur cette éventualité qu’on compte à Rome pour obliger les neutres à imposer la paix à la Turquie ; mais les démonstrations du parlement italien ne sont pas de nature à aider l’Europe dans cette tâche, si elle veut un jour l’accomplir. Ces démonstrations, qui sont assurément un grand et beau geste, sont de nul effet sur la Porte et ce n’est pas aux puissances, c’est à l’Italie elle-même qu’il appartient d’y donner la suite indispensable pour que le but en soit atteint. On ne voit pas comment l’Europe pourrait faire un devoir à la Porte de capituler avant qu’elle ait épuisé, ou du moins sérieusement entamé ses forces de résistance, qui sont encore à peu près intactes. Le moment viendra sans doute où, l’Italie ayant remporté des avantages décisifs, l’action des neutres pourra se produire avec plus de chances de succès : alors l’Europe ne manquera pas de faire à son tour le geste nécessaire pour arrêter une inutile effusion de sang. Mais on n’en est pas encore là

La Tripolitaine est perdue pour la Porte, et on s’en rend bien compte à Constantinople ; mais, si on finit par s’y accommoder de cette situation en fait, il sera éternellement difficile de la faire consacrer en droit. La Porte, qui subit notre présence et notre domination en Algérie et en Tunisie, ne les a jamais officiellement reconnues. Qu’avons-nous fait ? Nous nous sommes arrangés de manière à nous passer de cette reconnaissance, qui n’aurait plus aucun avantage pour nous et serait pour elle un grand détriment moral. Le plus sage, de la part des Italiens, est de poursuivre un résultat analogue. Nous avons conquis l’Algérie et occupé la Tunisie sans nous préoccuper de la Porte, sans lui rien demander, sans rien attendre d’elle, sans exiger qu’elle nous accordât ce qu’elle ne peut pas nous accorder. La Porte ne s’incline que devant le fait accompli, parce qu’elle croit que Dieu l’a voulu. Le fait italien, en Tripolitaine, est sans doute en bonne voie d’accomplissement, mais il n’est pas encore accompli.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.