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Paul restât dans la coalition et de plus en plus il inclinait à en sortir. De jour en jour, les dissentimens entre ses alliés et lui s’aggravaient, emplissaient son cœur de dégoûts et de colères. Il se disait trahi et, tout autour de lui, les patriotes russes qui l’avaient vu avec regret se jeter dans une guerre dont la Russie ne tirerait aucun profit, l’incitaient à rappeler ses armées et à se contenter de les tenir en observation sur sa frontière. Ces conseils faisaient peu à peu leur chemin dans son âme impressionnable et mobile. Il commençait à dire ce qu’on lui entendit répéter depuis à plusieurs reprises, « qu’il n’avait pas le droit de sacrifier ses soldats aux ambitions de ses alliés. »

Dans le conseil de l’Empire, le chancelier Rostopchine s’était fait le défenseur de cette thèse, tandis que le comte Panine, ministre des Affaires étrangères, défendait la thèse contraire. « Comment la Russie, demandait celui-ci, pouvait-elle abandonner des alliés qu’elle-même avait recherchés, exposer à tous les dangers de la guerre des Etats qui ne l’auraient jamais faite si la Russie ne les y avait entraînés ? » Il développa ces idées dans un mémoire destiné à l’Empereur qui se trouvait alors à Gatchina. Il l’envoya à Rostopchine en le priant de le remettre. Rostopchine se fit tirer l’oreille. A en croire le chevalier de Bray, il écrivit à Panine pour lui demander si c’était sérieusement son intention que ce mémoire fût mis sous les yeux de Sa Majesté : « Oui, répondit Panine, je vous en conjure au nom de la patrie et vous prie d’ajouter cette nouvelle instance à mon mémoire. » Rostopchine dut s’exécuter, et Paul Ier, dans le conflit des deux opinions qui lui étaient exprimées, resta de plus en plus hésitant. Autour de lui, les agitations redoublèrent, chacun des deux partis s’efforçant de lui arracher une décision.

Malgré ce déchaînement d’intrigues, la faveur du marquis de Gallo persistait et par conséquent sa confiance. Bien que prévoyant des complications futures, il se flattait de n’en pas souffrir et d’atteindre le but qu’il poursuivait. Elles éclatèrent subitement, de la manière la plus imprévue et du côté d’où il était loin de les attendre.

Jusqu’à ce jour, le mémoire qu’au mois de juillet précédent il avait remis au Tsar sous le sceau du secret, était resté ignoré, sauf d’un petit nombre d’initiés. Etant donné les usages diplomatiques, il se croyait assuré de la discrétion des divers personnages