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528 REVUE DES DEUX MONDES.

Ernest amène mon poney d’Irlande tondu jusqu’aux jarrets, ce qui lui vaut l’apparence de porter des bas rougeâtres. Je me hisse avec un peu de peine, et en soufflant. Toutefois, lorsque j’ai rassemblé les rênes, assuré mon assiette, je me plais devant le perron du vestibule ouvert. Les miroirs de ses trumeaux me présentent l’image d’un monsieur en jaquette à carreaux et en molletières fauves sur bottines noires. Mon feutre vert ombre bien ma face barbue.

— Monsieur fera attention, ... recommande Ernest... La bête a pris trop d’avoine. C’est le jardinier qui en a donné deux fois, par erreur.

— Merci, Ernest. Vous pouvez aller à Paris, cet après-midi. Soyez rentré pour huit heures. Sans quoi, Claude nous grondera.

— Je remercie Monsieur. Faut-il rapporter les rideaux de la chambre jaune ?

Ernest est content. Sa jeune vigueur se dilate dans sa livrée bleue. Ses joues gonflent. Il va passer deux heures avec la soubrette de l’avenue Marceau. J’ai mis un peu de joie dans une ame. Tant mieux.

Passé la grille, je regarde la maison derrière les cinq pelouses aux dômes de géraniums. Stéphanie se retire d’une fenêtre vivement, juste assez pour être vue, sans être obligée de me sourire. Finaude. Ou non ?

Peut-être s’imagine -t-elle veuve, maîtresse de la fortune qu’elle me croit, et libre d’aimer enfin selon ses instincts, selon son cœur. Ma vieillesse ne sera qu’un ennuyeux moment à passer. Il y aura d’évidentes compensations, celles de l’aise de la quiétude, et les plaisirs secrets du flirt. Ensuite, quelle aurore se lèvera sur mon tombeau !

Bonne enfant, va.

Paul Adam. {La deuxième partie au prochain numéro.)