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vote : « Rarement une victoire du Centre m’a fait le même plaisir que me fit hier sa défaite. »

« En repoussant le projet de loi, déclarait la Gazette Générale de l’Allemagne du Nord, les hommes du Centre ont rompu avec tous les vrais partisans de la dynastie et de l’Etat, ils ne pourront plus s’affubler, désormais, d’un masque loyaliste ; entre eux et les conservateurs, tout compromis est devenu impossible. » — « Les poissonnières de Hambourg, répliquait plaisamment Windthorst dans un meeting tenu à Cologne, insultent aussi les gens qui ne veulent pas leur acheter leurs poissons pourris. » Windthorst et ses amis laissaient passer l’insulte ; ils étaient approuvés par leurs électeurs dans les meetings, par leurs évêques du fond de l’exil : cela leur suffisait. Bismarck, sans eux, atténuait un peu les misères de l’Eglise, et se vantait ensuite de s’être passé d’eux. C’était exact : mais il aurait besoin d’eux quelque jour, pour les affaires de l’Etat ; ils étaient, à certaines heures, l’indispensable appoint pour une majorité gouvernementale. Bismarck, sans le Pape, avait apporté au mal certains palliatifs ; il se vantait ensuite de s’être passé de lui. C’était exact, aussi, mais ces palliatifs étaient provisoires : ces prêtres dûment installés, dûment reconnus par l’Etat, auxquels on permettait désormais d’aller évangéliser les paroisses vacantes, verraient au jour le jour la mort éclaircir leurs rangs, et ceux d’entre eux qui mourraient ne pourraient, dans leurs propres paroisses, être légalement remplacés ; la loi de 1880 serait ainsi paralysée, peu à peu, par le mécanisme désastreux des lois de Mai ; et d’une façon plus lente assurément, mais toujours aussi méthodique, ces lois continueraient d’étendre, inévitablement, sur la surface du royaume, le désert spirituel qui chaque jour s’élargissait. En se passant du Pape, en se passant du Centre, Bismarck avait pris une initiative législative qui impliquait, par elle-même, l’aveu du mal commis, et l’aveu de la responsabilité de l’Etat ; mais après la loi nouvelle, la responsabilité de l’Etat persistait, et cette loi même ne supprimait pas le mal. L’Etat pécheur rusait avec son péché ; Léon XIII attendait de Bismarck, patiemment, une plus complote repentance.


GEORGES GOYAU.