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Assourdi de clameurs, il s’avisait d’un biais, qu’il espérait devoir être efficace. Il abolissait la mainmorte dans les domaines royaux, comptant, par cet auguste exemple, convertir les récalcitrans. L’édit, daté du 10 août 1779, est précédé d’un préambule, rédigé par Necker, et dont certains fragmens méritent d’être cités : « Mettant notre principale gloire à commander une nation libre et généreuse, faisait-il dire au Roi, nous n’avons pu voir sans peine les restes de servitude qui subsistent dans plusieurs de nos provinces. Nous avons été affecté de voir qu’un grand nombre de nos sujets, servilement attachés à la glèbe, sont regardés comme en faisant partie et qu’ils n’ont pas la consolation de disposer de leurs biens après eux... Justement touché de ces considérations, nous aurions voulu abolir sans distinction ces vestiges d’une féodalité rigoureuse. Mais nos finances ne nous permettant pas de racheter ce droit aux seigneurs, et retenu par les égards que nous avons pour les lois de la propriété, nous abolissons le droit de servitude, non seulement dans nos domaines, mais dans tous ceux engagés par nous et par les rois nos prédécesseurs. Nous verrons avec satisfaction que notre exemple et l’amour de l’humanité, si particulier à la nation française, amènent sous notre règne l’abolition complète des droits de mainmorte et de servitude, et que nous soyons ainsi témoin de l’entier affranchissement de nos sujets[1]. »

Cet édit si bien justifié, si anodin dans sa teneur, si prudent dans sa forme, le parlement ne l’enregistra cependant qu’avec peine, avec bien des réserves et des restrictions. Est-il d’ailleurs nécessaire d’ajouter que ce moyen sentimental et ce touchant appel n’eurent pas l’effet qu’en attendait Necker ? De ceux auxquels il s’adressait, presque tous firent la sourde oreille. Pour enfoncer les dernières résistances, il faudra la poussée brutale de la Révolution.


V

Enfin, c’est encore à Maurepas et au parti dont il est le porte-parole qu’on a droit d’imputer l’échec des premiers projets de Necker pour purifier le régime bourbonien d’un vice qui, de longue date, lui cause un tort irréparable, pour guérir

  1. Journal de l’abbé de Véri.