Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

original, c’est bien au romantisme qu’il se rattache le plus nettement.

Je ne vois donc guère de transitions entre le romantisme et le réalisme ; je ne vois pas surtout que le romantisme contint le réalisme ou y acheminât. Chez ceux-là mêmes qui ont en eux du romantisme et du réalisme, ne voit-on pas que l’un ne mène pas à l’autre, mais que manifestement ils se combattent, de telle sorte que : ou l’œuvre en souffre ; ou l’auteur, très averti, élimine l’un des deux d’une de ses œuvres, élimine l’autre d’un autre de ses ouvrages, pour que tous ses ouvrages soient beaux chacun de sa beauté propre et dans un ordre de beauté ?

Il y a antinomie entre le romantisme et le réalisme tout autant, un peu plus peut-être qu’entre le réalisme et le classicisme et à l’égard du romantisme le réalisme est bien une réaction, non une suite.

Classicisme, romantisme, réalisme sont trois élémens d’art et de littérature, trois élémens différens et qui s’éliminent et qui réagissent l’un contre l’autre. L’art psychologique a pour ennemis la sensibilité et l’imagination et ne s’accommode d’elles que dans une mesure restreinte et, naturellement, avec timidité ; l’art d’imagination et de sensibilité tend à exclure l’art psychologique qui le gêne et qui l’alourdit et tend à exclure aussi le goût du réel et en son fond est précisément le désir d’échapper à la réalité. L’art réaliste enfin ne peut aimer ni la psychologie, ni la sensibilité, ni l’imagination, toutes les trois détournant du monde extérieur proche et vu de près.

Il va sans dire qu’aucun artiste ne peut se priver absolument des trois élémens et que dans un bon réaliste il ne se peut pas qu’il n’y ait un peu d’imagination, un peu, même, de sensibilité et un peu de psychologie. De même dans un romantique... de même dans un classique.. Mais la prédominance dans un artiste d’un des trois élémens est presque absolument nécessaire et le mélange dans un artiste de deux de ces élémens ou des trois est dangereux et l’indécision entre ces trois tendances est néfaste.

On rêve sans doute un artiste infiniment supérieur, un Gœthe supérieur à Gœthe qui réunirait les trois dons et qui en tirerait des œuvres dépassant, pour ainsi dire, la perfection ; mais cet artiste ne s’est pas présenté encore, et il est douteux qu’il soit possible qu’il existe.