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que n’importe quelle autre puissance du monde, et, si tous les dreadnoughts du monde étaient coulés ce soir, notre supériorité n’en serait que plus forte. » Tel est le rêve formidable dans lequel se complaît l’imagination de M. Churchill. Il suppose une bataille où chaque dreadnought anglais, en détruisant un dreadnought allemand, serait détruit par lui. L’Angleterre en ayant davantage, la supériorité lui resterait finalement ; mais, quand même tous ses dreadnoughts et tous ceux de l’Allemagne seraient détruits, elle conserverait ses vieux navires, mis en réserve en seconde ligne, et l’ennemi n’aurait rien à leur opposer. Seulement, dans cette hypothèse, si l’Angleterre était victorieuse de l’Allemagne, la flotte qui lui resterait la ferait tomber à un rang inférieur à celui de plusieurs autres puissances. Périssent donc les dreadnoughts du monde entier ! Cela n’en vaudrait que mieux, puisque sa vieille flotte assurerait plus sûrement encore la suprématie militaire à l’Angleterre. Alors, à quoi bon les dépenses que toutes les grandes puissances ont faites depuis quelques années ? M. Churchill se livre à ce sujet à des réflexions qui ne manquent ni de philosophie, ni de mélancolie. Son but paraît être de convaincre l’Allemagne qu’elles ne lui serviront précisément à rien. Faites des dreadnoughts tant que vous voudrez, lui dit-il, vous êtes libre, mais sachez bien que nous en ferons davantage. Faites-en moins, nous en ferons moins de notre côté, et notre force sera diminuée dans des proportions que vous ne pourriez obtenir par l’action navale la plus brillante. Ne vaudrait-il donc pas mieux s’arrêter dans cette course à la ruine et à la mort ? « Combien est étrange, s’est écrié le ministre anglais, le spectacle que donnent les nations civilisées qui consacrent leurs richesses, leurs hommes et leur science à la création d’organismes surannés aussitôt que nés, et qui dépensent, presque sans compter, un argent quelles mesurent avaricieusement quand il s’agit des besoins des peuples. La seule consolation est que cette concurrence des armemens remplace les batailles corps à corps d’autrefois, comme le paiement par chèques s’est peu à peu substitué de nos jours aux antiques versemens en espèces. Il n’en reste pas moins que nous vivons sur les confins de la violence dans un siècle d’inquiétude profonde. Il se peut que l’utilité de la guerre soit une illusion, mais la guerre elle-même n’en est pas une. Il appartient à l’amirauté d’accomplir le simple devoir d’assurer la sécurité du pays : elle laisse à d’autres la tâche de changer le temps où nous vivons. »

Les deux nations vont donc se battre à coups de dépenses M. Churchill a prévu le moment où, sa vieille flotte étant désormais