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STÉrUAME. 789

Il ne bouge pas. Sa barbe fraîdjcnient dorée tremblote un peu avec la lèvre bb^’ine. Craindrait-il de trahir son émotion en parlant ? Craindrait-il un sanglot. Il renille. II soupire. C’est bien une larme qui glisse, puis roule dans sa moustache trop blonde.

— Mon cher ami...

Je touche sa main aux taches jaunes. Il se dégage vivement. Il lire son mouchoir. Il y cache sa iigure en feignant de s’essuyer. J’aperçois le frisson de son dos.

Le peignant de sa peine qui est la mienne, comme je le comprends I L’âge nous a rejetés hors de la vie créatrice quand notre cœur et notre intelligence, nos nerfs demeurent ceux de la passion fervente. Autour de nous faibles et comiques, la jeunesse inexorablement conspire notre honte. Et le monde entier applaudit. Tous les Scapins nous enferment dans les sacs qu’ils bàtonneront en se moquant. Pauline, Félix, Stéphanie, vous vous appelez Célimène, Clitandre, Agnès, sur le tréteau. A nous la trogne de Sganarelle et les besicles de Géronte... Ah ! petite Stéphanie, croyez-vous m’abuser, en me Iravestissanl, sur vos dessins, en capitaine de romance ?

J’ai secoue la tète. Moi aussi, j’ai dû soudain étancher l’humidité de mes pauvres yeux. Quand j’eus fini, nous nous sommes trouvés, Helgoët et moi, le mouchoir dans la main, et qui nous contemplions avec une égale pitié. A nous voir dans cet état, quel passant n’eût ri ?

Nous avons souri nous-mêmes.

— Voyez-vous, mon ami, nous sommes deux vieilles bètes, ... m’a dit l’amiral... Deux vieilles bètes qui prétendons jouer au cerceau quand ce n’est plus de notre âge. Nous ferions mieux, moi, d’achever mon Histoire de la Marine Françaisp, et de mériter ainsi le grand prix Gobert que m’ont promis trois académiciens, et vous de découvrir l’odeur suave qui doit, pour rien, parfumer toutes les ouvrières de France. La chimie, l’histoire ne devraient plus connaître de rivales dans nos cerveaux

— Est-ce possible ?

— Et puis, est-ce souhaitable ?... Mon Dieu, oui ; je le répète : est-ce souhaitable ? Nous sommes là à nous chagriner, et nous avons, parbleu, nos raisons. Pourtant je dois à Pauline une résurrection inespérée, des heures de tendresse aussi parfaites que celles de jadis. A vingt ans, j’ai pleuré davantage pour une cocotte de Toulon ambitieuse, et qu’un commandant à