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dans la vérité des faits : constatons que bien des parens d’au- jourd’hui, loin de défendre leurs enfans contre la fermentation prématurée, contribuent à la hâter, à l’activer ! J’en fis la remarque chez Mme Demonville. Les parties étaient finies ; tout le monde s’assemblait autour des tables à thé, nouvelle couvée et couvées du temps passé. La conversation des grandes personnes se poursuivit sans tenir compte de la présence de toute cette jeunesse. Le célèbre pianiste, causeur goûté quoique précieux, distilla un scandale parisien qui fit pâmer de gaîté votre belle-sœur et Mme Demonville : les petites Demonville et Mlle Bernier ne manquèrent pas d’en rire aussi. Comprenaient-elles ? Je n’en suis pas sûr. Guy plaisanta sa sœur Blanche sur la forme de sa jupe avec la liberté de paroles d’un collégien qui parle à un camarade ; elle ne s’en offusqua point et lui répliqua à peu près du même ton.

Noël (treize ans à peine !…) fredonna un refrain de café-concert qui fait en ce moment fureur à Paris, grâce à des sous-entendus d’un goût discutable. Sa mère lui dit paisiblement : « Eh bien ! on t’apprend de jolies choses à Condorcet… » Il avait fait rire l’assemblée, sa mère était un peu fière de lui. Même Georges, même Sylvie, dont les manières sont parfaitement décentes et qui jamais ne prononcent une parole risquée, ne parurent pas offensés. Que voulez-vous ? ils sont de leur temps ! Et de même que, déférens eux-mêmes, ils ne critiquent pas la faillite du respect chez leurs contemporains, — de même, sans être aucunement « dépudorés » eux-mêmes, l’absence de vergogne, chez la nouvelle couvée, ne les offusque point.


Par cette mi-septembre, ma chère nièce, il est une heure que j’aime entre toutes : celle où, le crépuscule nous ramenant au logis, on s’assoit jusqu’au diner devant sa table de travail ou simplement à côté d’elle, un livre en main… Recueillies au cours de la journée, les images d’un été déjà moins tyrannique offrent à l’imagination, à la méditation, un fonds de beauté, de sérénité, de joie. Au dehors, ce n’est pas encore la lourde léthargie des soirs d’automne ; on sent que toute la nature continue de palpiter sous l’ombre amoureuse ; mais pourtant ; l’ombre est descendue, qui calme l’inquiétude de nos nerfs,