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ses plus notables idées, l’admiration la plus vraie pour son ait, qui fut si étrangement nouveau, la plus sincère pitié pour sa pauvre vie, — et une « horreur sacrée » (au sens latin) devant la grandeur et le mystère de son action sur les hommes.


C’est Rousseau qui a conduit M. Jules Lemaître à l’étude de Fénelon et de Chateaubriand ; c’est en étudiant le premier qu’il a pressenti que ces trois écrivains « formaient, malgré toutes leurs différences, comme une dynastie spirituelle, une dynastie de rêveurs, d’inquiets et d’inventeurs, » et il a voulu vérifier et préciser ce juste pressentiment. Est-ce parce que Fénelon était un sujet peut-être plus difficile, plus délicat et plus complexe, surtout pour un « profane » et un laïque ? Ou bien M. Lemaître s’est-il laissé intimider par le grand nom de Bossuet, et par le massif réquisitoire de feu Léon Crouslé contre l’archevêque de Cambrai ? Mais je ne sais si son Rousseau, somme toute, n’est pas de nature à donner plus de satisfaction aux « rousseauistes » que son Fénelon aux « féneloniens, » et peut-être même à certains « bossuétistes. » Je crains que le conférencier n’ait pris trop aisément son parti de la condamnation de Fénelon, et qu’il n’en ait pas assez bien vu toutes les conséquences historiques. « Il faut bien le reconnaître, écrit-il, le quiétisme, même ramené tant bien que mal à l’orthodoxie, n’est le plus souvent qu’un jeu sentimental pour âmes oisives et renchéries. » M. Jules Lemaître, qui connaît si bien son Renan, ne se rappelle-t-il pas quelques-uns des nombreux passages où l’auteur de la Vie de Jésus reproche au catholicisme de n’être, en matière morale, qu’un utilitarisme assez grossier ? « Elle fit le bien pour le bien, nous dit Renan de sa sœur Henriette, et non pour son salut Elle aima le beau et le vrai sans rien de ce calcul qui semble dire à Dieu : N’étaient ton enfer ou ton paradis, je ne t’aimerais pas, » Et l’on sait combien de fois des idées analogues se retrouvent sous sa plume. Eh bien ! je ne sais si Renan était « une âme oisive et renchérie ; » mais ce qui est sûr, c’est que, comme beaucoup d’autres philosophes du XVIIIe et du XIXe siècle, il était quiétiste ; et que, si Bossuet n’avait pas obtenu contre Fénelon une condamnation, qui fut d’ailleurs très douce et fort mitigée dans les termes, si l’orthodoxie n’avait pas paru repousser la doctrine du pur amour, — en fait, elle n’en a réprouvé que les excès, — un certain nombre des objections de la libre pensée des deux derniers siècles n’auraient même pas eu l’apparence