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en développant les caractères. Ainsi traités, ses proverbes prirent tournure d’aimables saynètes et de légères comédies de salon. Il faut donc le considérer comme l’inventeur du genre pimpant et satirique, qu’ont illustré et perfectionné après lui les Musset, les Théodore Leclercq, les Feuillet, les Pailleron, et c’est à ce titre de précurseur qu’il mérite au moins un souvenir[1].

Ses proverbes sont en grand nombre : une centaine environ, dans l’édition publiée par Méry sous la Restauration. Cette fécondité s’explique par une facilité prodigieuse. « Telle était la souplesse de son imagination, nous avertit son biographe, que la composition d’une pièce de théâtre en un ou deux actes, le développement des caractères, d’après les données qu’on lui fournissait, étaient pour lui l’affaire d’une matinée. Aussi a-t-il laissé des manuscrits si nombreux qu’ils auraient pu former plus de quatre-vingts volumes. »

Cette innovation obtint le plus brillant succès et les contemporains, qui le constatent, s’entendent pour accorder à Carmontelle les plus enviables qualités dramatiques. « Il a de la vérité dans ses caractères et du naturel dans son dialogue, déclare Grimm, il saisit bien les ridicules et il a assez de causticité dans l’esprit pour les bien rendre, » et Mme de Genlis insiste : « Je ne connais pas d’auteur qui ait mieux peint le monde et le ton des gens qui le composent ; sous ce rapport, son recueil de proverbes sera toujours précieux aux yeux de tous ceux qui veulent avoir une idée juste d’une partie de la société du XVIIIe siècle. »

Il est certain que ces croquis de mœurs légers et un peu secs, mais spirituels et tracés d’après nature, devaient enchanter les spectateurs. Pour composer ses personnages, Carmontelle n’avait qu’à regarder autour de soi. Les modèles ne lui manquaient pas. A n’en point douter, beaucoup de ses proverbes sont à clé et l’on pouvait aisément reconnaître les originaux. Ainsi, dans les Désespérés de l’Opéra, le revêche M. Sanglier, grand partisan des récitatifs, dissimule le chevalier de Clermont d’Amboise, gluckiste intransigeant. Personne ne se trompait à ces identifications et c’était, pour la galerie, un plaisir d’autant

  1. Notons cependant que Mme de Genlis lui conteste cette priorité pour l’accorder à une Mme Durand qui aurait en effet composé vers 1700 une dizaine de comédies-proverbes, d’ailleurs fort courtes et fort plates.