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de la scène des oiseaux. Entre Assise et Pérouse, à l’heure de midi, frère François et frère Léon cheminent. Quant à la musique, elle ne commence pas ; mais plutôt elle éclate. Elle jaillit en gammes aussi rapides que vigoureuses, en traits qui pleuvent de toutes parts, aigus, étincelans. Ils descendent, se jouent, se brisent et remontent, les rayons sonores, comme font les rayons de lumière. Mais ces gammes, ces traits, n’ont pas moins d’intensité que de vitesse. Fortement rythmés, ils s’appuient solidement sur leurs notes extrêmes et s’y arrêtent, ne fût-ce qu’un instant. Cet arrêt, cet appui leur donne l’aplomb, et ce rythme leur donne la carrure. Ainsi tout est décrit, tout est exprimé, les flèches légères, la pesée accablante, et nous avons, dans ce prélude d’orchestre, la courte, mais puissante symphonie, sinon d’un jour, au moins d’une heure d’été.

Ab exterioribus ad interiora. L’occasion est bonne ici de passer des choses aux âmes. Succombant à la fatigue, l’un des deux pèlerins maudit, avec bonhomie, le soleil ; avec reconnaissance, l’autre le salue. Frère Léon ne voit que l’incommodité ; frère François, que la splendeur. La musique a noté finement cette nuance. Mais dans le cœur de François, et sans cesse, la musique a su pénétrer plus avant. C’est là qu’il faut la suivre, afin de la goûter mieux encore. C’est là, plutôt que sur les sommets orageux de l’Alverne, où, pour figurer le miracle des stigmates, elle s’est enflée et travaillée en vain. Parmi les différens tableaux de l’ouvrage, il en est un, celui-là, que le musicien a manqué. Peut-être la musique même était-elle incapable de le réussir. « Qu’un silence sacré, dirait Carlyle, enveloppe cette matière sacrée. » Les auteurs sans doute avaient compté sur cette scène grandiose. — ou qui devait l’être, — pour sauver de la monotonie un sujet trop uniformément tempéré. Elle a produit plutôt un effet, — non moins fâcheux, s’il ne l’est davantage, — de disproportion et de disparate. Elle ne domine que matériellement, sans les écraser, par bonheur, d’autres scènes, que fait vraiment exquises une discrète, mais profonde, mais attendrissante spiritualité. Celle-ci revêt, imprègne le personnage de François tout entier. L’esprit franciscain, l’esprit de simplicité, d’humilité, de charité, lui dicte ses moindres répliques, inspire chaque mot, chaque note qui tombe de ses lèvres, à tous les instans de sa vie et jusqu’à l’heure de sa mort. Le dialogue avec le lépreux, l’homélie aux oiseaux, abonde en traits de ce genre, qui, s’ajoutant les uns aux autres, composent insensiblement une figure achevée. Deux épisodes surtout : les fiançailles avec la Pauvreté et le colloque avec sainte Claire, sont les pages maîtresses de l’ouvrage.