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n’avoir pas besoin de forces françaises à Fez même ; on s’était bercé de l’espérance que la terreur qu’elles inspiraient agirait à distance et qu’il suffisait d’avoir dans la ville des troupes chérifiennes avec quelques instructeurs européens. L’erreur a été cruellement dissipée. Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que la révolte et l’émeute de Fez ne semblent pas avoir été des événemens isolés, ni spontanés ; d’autres insurrections étaient prêtes à éclater sur plusieurs points du territoire ; déjà nos colonnes avaient été attaquées sur la frontière Nord-Est et, bien que victorieuses, avaient éprouvé des pertes sensibles en hommes et en officiers. Tout cela révèle un plan général qui, par bonheur, n’a été exécuté qu’en partie, ou plutôt qui, ne l’ayant pas été partout en même temps, a pu être déjoué. L’ordre a été rétabli à Fez, nous n’osons pas dire la sécurité ; mais ce n’est là que la surface des choses, le mal subsiste au fond et il est plus répandu qu’on ne l’avait cru.

On y croyait si peu qu’il était question de faire faire au Sultan un voyage à Rabat et à Paris, aberration d’autant plus difficile à concevoir que nous avions une expérience récente d’une opération du même genre qui avait abouti au plus pitoyable dénouement. La leçon en est-elle déjà perdue ? M. Regnault a-t-il pu l’oublier ? Le sultan du Maroc était alors Abd-el-Aziz ; il subissait notre protectorat avant la lettre, avant le traité, et, pour mieux marquer sa dépendance à notre égard, nous l’avions amené à Rabat. Il ne pouvait par être encore question de le faire venir à Paris, mais nous lui avions passé en écharpe le grand cordon de la Légion d’honneur comme pour prendre possession de lui. C’est ce qui l’a perdu : Abd-el-Aziz, revêtu de nos insignes, est tombé dans une impopularité si profonde que nous avons été obligés de l’abandonner pour nous rallier à Moulaï Hafid, qui avait profité d’une aussi bonne occasion de le remplacer. Croit-on que celui-ci à son tour soit plus populaire, après avoir signé le traité de protectorat, que ne l’était l’autre au moment dont nous parlons ? Il n’en est rien : Moulaï Hafid est accusé d’avoir vendu son pays à la France. Et c’est juste à ce moment que, le faisant marcher sur les traces mêmes de son frère, nous nous sommes proposé de le conduire à Rabat ! Et après Rabat, nous avons manifesté l’intention de le conduire à Paris, où sans doute M. Fallières lui aurait passé autour de la poitrine le grand cordon rouge ! Il aurait été impossible de mieux marquer sa vassalité à notre égard et de faire de lui plus définitivement une loque politique hors d’usage. Pourtant Moulaï Hafid se prêtait sans résistance, avec complaisance même, à nos desseins sur lui. On sait aujourd’hui