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perdues : ce n’est pas faute d’y penser toujours, mais c’est un devoir pour nous de n’en parler qu’avec prudence, faute de quoi nous risquerions de leur être plus nuisible qu’utile et d’aggraver encore les préventions qui existent contre elles en Allemagne. Le récent discours que l’empereur Guillaume a prononcé à Strasbourg a cependant fait trop de bruit dans le monde pour que nous le passions sous silence : nous devons en dire au moins quelques mots. L’Empereur a les impressions vives et le verbe prompt : cela suffit sans doute à expliquer les paroles qu’il a adressées au maire de Strasbourg. Il s’en est fallu de peu qu’il n’accusât l’Alsace-Lorraine d’ingratitude : on lui a donné une constitution qui lui assure une certaine autonomie ; que lui faut-il davantage et d’où vient l’opposition qui continue de s’y manifester ? Si cet état d’esprit dure, a dit l’Empereur, l’Alsace sera réunie à la Prusse et, après m’avoir connu du bon côté, elle me connaîtra du mauvais.

Le prétexte à cette boutade virulente a été le mécontentement causé en Alsace par l’interdit prononcé contre l’usine de Grafenstaden dont le directeur a déplu. Il a déplu, non pas parce qu’il remplissait mal sa fonction et fabriquait de mauvaises locomotives, mais parce que son attitude politique n’était pas conforme aux vœux du gouvernement Il n’en a pas fallu davantage pour que les commandes qui avaient été faites à l’usine de Grafenstaden lui aient été retirées et pour qu’on lui fît savoir qu’elle n’en recevrait pas d’autres aussi longtemps qu’elle conserverait le même directeur. L’Alsace est sans doute le seul pays du monde où un pareil fait pouvait se produire ; l’opinion en a été froissée et agitée et l’affaire a été l’objet, à la seconde Chambre, d’une discussion à la suite de laquelle l’assemblée s’est prononcée à l’unanimité contre la mesure prise. l’avait-il lieu de s’en indigner ? Non, certes ; l’impression produite par le retrait des commandes est toute naturelle ; en tout cas, il est excessif, après avoir retiré ses commandes à l’usine, de menacer à son tour l’Alsace de lui retirer sa constitution. Mais il n’y a eu là qu’un prétexte : la raison sérieuse et profonde de l’irritation du gouvernement impérial vient de ce que l’opposition alsacienne, qu’on espérait désarmer avec des demi-concessions, reste mécontente et continue de soutenir la totalité de ses revendications. Cet état d’esprit persistant en Alsace entretient à Berlin une nervosité qui, on vient de le voir, va quelquefois jusqu’à l’exaspération. Il serait très simple de donner satisfaction aux Alsaciens en leur accordant une autonomie plénière et en mettant leur pays sur le même pied que les autres États de l’Empire ; mais c’est