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son admirable adjuration aux étoiles unit, à toute la liberté d’un lied, toute l’eurythmie d’un chant. Quel sentiment surtout, quelle émotion, et poignante, s’est donc emparée ici de l’artiste et se communique à nous ! La musique, disait Beethoven, est esprit et elle est âme. À l’esprit, — et par là, s’il vous plaît, nous entendrons la science, toute la science du musicien qu’est M. d’Indy, — voici que pour la première fois s’ajoute une âme, une âme débordante de douleur et d’amour. « Ils dorment, ils dorment, tous ceux rjue j’aimais ! » Deux et trois fois, des harmonies torturantes étreignent la voix, et la voix, avec une sorte d’ivresse désespérée, semble moins s’arracher que se livrer à leur étreinte. Plus belle encore peut-être est l’apostrophe aux étoiles. Le pathétique ici, et le pathétique humain, celui qui vient du cœur et qui va au cœur, s’élève très haut. Humain, et reprenons le terme : latin, classique même. À toute la déploration de son héros le musicien a donné pour fond ou pour base le thème admirable du Pange lingual. Il l’a traité de façon magistrale, que dis-je ! de plus d’une façon. Il l’annonce d’abord de loin et le présente comme de biais. Entre les voix harmonieusement disposées d’un invisible chœur, il en distribue les notes initiales. Enfin il l’attaque franchement et de face, le faisant entonner par le ténor, à pleine voix et à découvert. Les chœurs, à leur tour, le reprennent, et, sur leur polyphonie assurée, Fervaal jette çà et là des appels maintenant joyeux, enthousiastes, d’énergiques et lentes vocalises, où semble résonner l’accent triomphal de certains méUsmes grégoriens. Oui, latin, au sens le plus large du mot, non seulement latin, mais romain, catholique romain, l’art de M. d’Indy finit ici par l’être, avec une plénitude, avec un éclat vainqueur des nuées et des ombres. En son art tout entier, dans ses œuvres comme dans sa doctrine et son enseignement, dans son esprit comme dans son cœur, on sait quelle place, la première peut-être, garda toujours à l’idéal religieux le compositeur de Fervaal. Nulle préoccupation, nulle coniction, nulle pratique ne l’honore davantage. Et comme elle est le signe de sa foi, la beauté de cette scène finale en est aussi la récompense. Au génie liturgique, au génie de l’Église, le musicien qui le comprend et qui l’aime n’a pas recouru en vain.

Pour les incroyans eux-mêmes, de telles pages contiennent une grande leçon. N’est-il pas singulier qu’à la fin, ou plutôt au sommet d’un opéra tel que Fervaal, aussi délibérément et, suivant nous, exagérément instrumental et symphonique, l’effet capital, et tout près, encore une fois, d’être sublime, ait pour cause une mélodie, un