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chant ! Que ce chant soit d'église, du style que de préférence à tout autre l'Église a reconnu, consacré comme sien, n'est-ce pas le signe évident et le gage assuré des bienfaits que l'art même profane peut attendre et recevoir de l'art véritablement religieux ! Enfin il n'y a guère ici quun chant. Mais comme il agit sur nous, comme il opère en nous! De même, dans un ouvrage moderne, et polyphonique autant que Fervaal, Ariane et Barbe-Bleue, à certain moment, une mélodie aussi, le chant des « cinq filles d'Orlamonde, » s'élevait, solitaire et tout-puissant. Ainsi, chez deux éminens symphonistes, la monodie a pris une glorieuse revanche, et sur la multiplicité des élémens, l'élément simple, unique, pendant quelques instans au moins, a prévalu.

Hier, comme jadis, elle nous a pris, cette fin de Fervaal, et pris tout entier. Mais, hélas! il faut bien se reprendre et, même pour elle, on ne peut oublier le reste et la tendance générale de l'ouvrage. « Soleils entourés de nuées, » confessent les exégètes, enthousiastes pourtant, que nous citions plus haut. Nous retenons leur aveu, pour le faire nôtre. Nous écrivions naguère à propos de Fervaal, et l'on nous permettra de récrire ce que nous croyons toujours, plus fortement peut-être, après seize années accomplies : prenons garde à la poésie et à la musique des nuées. M. Jules Lemaître, il y a longtemps, avait déjà raison de nous avertir : « Encore une fois les Saxons et les Germains, les Gètes et les Thraces et les peuples de la neigeuse Thulé ont fait la conquête de la Gaule. » Qui délivrera le territoire ! Quel maître vraiment national viendra refaire notre art, notre âme musicale, à son image, nous rendre la clarté, l'évidence, que nous continuons de fuir, hélas! pour nous incliner, pour nous enfoncer de plus en plus du côté du mystère ! Si grand, si noble qu'il soit, l'art d'où procède la majeure partie de Fervaal ne contient et ne manifeste rien qui soit nôtre. Il n'est pas selon nous, mais contre nous.

Art étranger, c'est de plus un art difficile, qu'on n'aborde et surtout qu'on ne pénètre qu'avec peine. Il se défend trop, avant de se donner, quand il se donne. « Ah ! Marianne, » disait Octave à sa cousine, « c'est un don fatal que la beauté ! La sagesse dont elle se vante est sœur de l'avarice et il y a plus de miséricorde dans le ciel pour ses faiblesses que pour sa cruauté. » Sans demander à la musique trop de condescendance, et pour tout le monde, on voudrait cependant la mu- sique de M. d'Indy moins rigoureuse, moins cruelle, et qu'en d'autres termes, familiers, elle y mît un peu plus du sien. Nous sommes obligés, nous qui réécoutons, d'y mettre trop du nôtre. Non pas, à vrai dire, toujours. Outre les beautés finales, il y a des éclaircies dans cet