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et l’incorporation d’une nouvelle qui ne sait encore rien du métier l’armée serait incapable de faire face à un danger qui surviendrait à l’improviste. Tout cela était si facile à prévoir qu’il est surprenant qu’on ne l’ait pas prévu. Nous admirons la conversion de certains généraux qui, après avoir prôné autrefois le service de deux ans, se frappent maintenant la poitrine et déclarent qu’ils se sont trompés ; mais nous reconnaissons plus d’autorité encore à ceux qui, dès le premier jour, ont dénoncé le service de deux ans comme néfaste et ont refusé de l’approuver. Il est vrai qu’on ne les a pas consultés et qu’ils n’ont pas toujours osé parler comme ils le font aujourd’hui. Connaissant l’opinion du gouvernement, ils se taisaient. Le gouvernement, en effet, avait pris son parti du service de deux ans et lorsque l’opposition dans les Chambres lui demandait, le suppliait de consulter le Conseil supérieur de la guerre, il s’y refusait obstinément : à quoi bon l’opinion du Conseil supérieur ? la sienne ne suffisait-elle pas ? C’est ainsi que, dans le silence imposé aux autorités compétentes, le service de deux ans a été voté, ce service que, de tous les points de l’horizon, on accuse à présent d’avoir vidé nos escadrons et nos compagnies et mis notre armée dans un état d’infériorité telle, à l’égard de l’armée allemande, qu’elle serait incapable d’en soutenir le premier choc. Si cela était déjà vrai hier, combien plus cela le sera-t-il demain, lorsque l’armée allemande, ayant été élevée au chiffre de 850 000 hommes en temps de paix, aura ses escadrons, ses compagnies, ses batteries montées avec un effectif si nombreux et si complet qu’elle n’aura pas besoin d’attendre sa mobilisation pour fondre sur notre armée et empêcher notre mobilisation ! C’est presque la reconstitution des armées de métier d’autrefois, mais accrues dans une proportion sans précédens. Là est pour nous le vrai danger. Après une déclaration de guerre, si nous avions le temps de réunir nos réserves et de les mettre en ligne, notre armée aurait en quelque sorte atteint son plein ; mais c’est ce temps qu’on ne nous laissera pas, et au premier moment, si important au point de vue moral comme au point de vue matériel, la disproportion sera si grande entre nos forces et celles de l’ennemi que nous aurons tout à redouter. Nous avons tort toutefois de parler au présent, ou au futur, quand il faudrait le faire au conditionnel. Ces conséquences extrêmes se produiraient si nous ne faisions rien ; mais il semble bien que le gouvernement soit décidé à faire quelque chose et qu’il ait mesuré l’étendue de sa responsabilité. Ces voix, qui se sont tues jadis, parlent aujourd’hui très haut et le pays les entend. Le gouvernement n’en aura pas moins un immense effort à faire s’il