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l’une vers l’autre. Ces sentimens sont restés les mêmes qu’il y a vingt ans lorsque l’alliance s’est conclue : le temps semble les avoir affermis au lieu de les avoir affaiblis, ce qui montre à quel point ils étaient d’accord avec la nature même des choses. Et s’ils l’étaient alors, ils ne le sont certainement pas moins aujourd’hui.

Les événemens qui viennent de se produire dans l’Europe orientale sont, en effet, le début d’une évolution dont la génération actuelle ne verra pas le terme. Il y aura des intermittences sans doute, des momens d’arrêt dus à la lassitude générale, des reprises subites que le malaise des uns et les ambitions des autres rendront inévitables. Le monde slave et le monde germanique en seront plus particulièrement agités, mais tous les deux auront besoin de trouver des points d’appui en dehors d’eux et ils les y trouveront, car le reste du monde ne saurait, quand même il le voudrait, rester étranger à des événemens dont le contre-coup se fera sentir partout. Ces événemens resserreront encore les liens qui existent déjà entre la Russie et la France : formés au milieu d’autres préoccupations, ils deviendront plus intimes et plus solides avec les nouvelles. Tout le monde en a le sentiment, l’intuition, l’instinct même : le mot n’est pas excessif, car il s’agit ici d’une de ces forces obscures que la nature élabore et où l'intelligence politique reconnaît une sorte de fatalité. Le passé qui continue de peser sur nous, l’avenir qui nous invite, des regrets, des espérances, tout concourt à nous rapprocher de la Russie et à la rapprocher de nous, au point que, si l’alliance n’était pas faite, elle se ferait certainement aujourd’hui. Ce n’est pas seulement à Saint-Pétersbourg et à Paris qu’on en a la claire vision. L’Allemagne ne se méprend pas sur ce que la situation actuelle a d’incertain ; les assises de la Triplice ne reposent plus sur un sol aussi solide; du moins ce sol a été ébranlé en quelques endroits. L’Autriche n’est plus aussi libre de ses mouvemens ; des préoccupations, des obligations nouvelles sont survenues pour elle ; ses hommes d’État d’hier et d’avant-hier croyaient avoir prévu toutes les éventualités et y avoir paré, mais subitement d’autres sont survenues auxquelles il faut parer aussi. Gardons-nous de rien exagérer : au milieu d’une situation aussi aléatoire que celle où nous sommes, les pronostics les mieux établis en apparence sont souvent déjoués par l’événement; les hommes d’ailleurs, par leur habileté ou par leur maladresse, par leurs vertus politiques ou par leurs faiblesses, peuvent singulièrement influer sur la marche des choses. Cependant il semble permis de dire que la Triple-Entente a été moins éprouvée que la Triple-Alliance par l’histoire, nous allions