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cet arrangement qui enjoint au Monténégro de lever le siège de Scutari et lui interdit de garder la ville s’il réussit à la prendre. Nous reconnaissons volontiers qu’il y a là quelque chose de nature à blesser certains sentimens. Le Monténégro est petit, il est faible à côté de l’Europe : n’y a-t-il pas un abus de la force dans les interdictions qui lui sont adressées ? C’est ainsi que l’opinion a raisonné, c’est ainsi qu’elle a été impressionnée en France, en Russie et même ailleurs; mais était-elle suffisamment éclairée ?

Nous avons été des premiers à reconnaître les droits que leur héroïsme, récompensé par la victoire, a donnés aux pays balkaniques; nous avons été des premiers à dire qu’il y avait là des faits dont il fallait désormais tenir compte et s’accommoder ; priver les États balkaniques de leurs conquêtes, sous prétexte de faire prévaloir les convenances de l’Europe, aurait été une iniquité ; mais tout le monde ne l’a-t-il pas compris et n’y a-t-il pas eu un assentiment unanime à permettre aux alliés balkaniques de recueillir les fruits de la guerre ? Ne les leur a-t-on pas accordés très largement ? L’Autriche elle-même, qui a été depuis l’objet de tant d’accusations plus ou moins fondées, l’Autriche qui était assurément la plus menacée de toutes les Puissances par les changemens qui venaient de se produire, l'Autriche a renoncé aussitôt, très sagement sans doute, mais libéralement aussi, à ce qu’elle regardait depuis longtemps comme l’objet de sa politique. Depuis Novi-Bazar jusqu’à Salonique, elle a tout sacrifié et jamais peut-être sacrifice plus grand n’avait été accompli d’une manière aussi complète et aussi rapide. N’est-il pas juste de lui en savoir gré ? Cependant, bien qu’elle ne demandât rien pour elle, l’Autriche a eu une politique. A-t-elle toujours été bien inspirée dans la forme qu’elle lui a donnée, nous n’avons pas à l’examiner aujourd’hui, mais il n’est pas douteux que, dans le fond, cette politique a été légitime. S’appuyant sur le principe des nationalités, au nom duquel on a fait la révolution balkanique, l’Autriche a demandé que la nationalité albanaise fût respectée comme les autres, au nom du même droit que les autres. On aura beau dire que cette nationalité est d’un ordre particulier, qu’elle est mélangée d’élémens divers, qu’elle manque de consistance, qu’elle a quelque chose d’artificiel : malgré tout, elle existe et l’Autriche a été très forte, parlant au nom des principes, lorsqu’elle a réclamé pour elle la possibilité de continuer d’exister. Mais, dit-on, l’Autriche n’a pas été seulement ici le représentant d’un principe, elle a été aussi celui d’un intérêt : l’Albanie est sa cliente et elle compte s’en servir pour faire contrepoids à la masse serbe qui va