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plus à propos de ce dernier incident. En même temps, un autre a surgi, qui n’avait pas en soi plus d’importance que le premier, qui même en avait beaucoup moins, mais qui est venu en aggraver l’acuité. Le général italien Caneva, ayant été envoyé à Vienne, y a été reçu avec un éclat exceptionnel ; il a été comblé d’attentions et de distinctions, et l’empereur François-Joseph lui a décerné une de ses décorations les plus flatteuses. La manière dont le général Caneva a été accueilli tenait aux circonstances ; elle manifestait les bonnes dispositions actuelles de l’Autriche à l’égard de l’Italie, et comme les dispositions de l’Italie à l’égard de l’Autriche n’étaient pas moins bonnes, le général Caneva, dans la chaleur de ses propos, est allé jusqu’à dire qu’il n’y avait plus d’irrédentisme dans son pays. Une pareille déclaration aurait été déplacée en tout temps, mais elle s’est trouvée l’être particulièrement aujourd’hui : on l’a connue en Italie juste au moment où tous les esprits étaient agités, tous les cœurs émus par l’affaire de Trieste. L’opinion s’est manifestée avec une telle véhémence que le gouvernement a dû s’en inspirer. Le comte d’Avorna, ambassadeur à Vienne, a été chargé d’exprimer au comte Berchtold l’impression pénible qu’on avait ressentie à Rome. Le gouvernement autrichien s’est rendu compte de la faute commise. Déjà le Fremdenblatt, dans une note officieuse, s’était appliqué à réduire l’incident aux proportions d’une simple affaire locale, à laquelle il ne fallait attribuer aucun caractère politique, et le journal officieux ajoutait qu’il serait apporté des adoucissemens à l’application du décret : on prolongerait par exemple le délai accordé aux employés étrangers pour se faire naturaliser. Mais les Italiens entendent rester Italiens et employés publics et ils demandent le retrait pur et simple du décret. On en est là. Nous sommes très éloigné de croire que l’affaire de Trieste influera sur les rapports actuels des deux pays : ils sont déterminés par des causes plus profondes. L’incident montre seulement à quel point, sous la surface politique des choses, les âmes restent sensibles et facilement inflammables. Et peut-être y a-t-il là un motif pour que nous ne donnions pas nous-mêmes une importance exagérée à ces mouvemens de l’opinion italienne qui se tourne parfois contre nous avec tant d’injustice.

Il semble d’ailleurs que, dans toute une partie de l’Europe, les esprits soient montés à un diapason très aigu. Ce n’est pas seulement en Italie que le phénomène se produit, il a lieu aussi en Allemagne. II semble vraiment que, dans ce pays, on tienne à avoir toujours un grief ouvert contre nous et qu’on l’entretienne avec soin, comme si