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de la guerre, c’est parce qu’ils n’avaient pas eu le temps matériel d’opérer leur mobilisation. Ils devaient la faire, en effet, sur des espaces immenses qui s’étendaient sur plusieurs continens, tandis que chacun des alliés balkaniques avait eu à faire la sienne sur une surface égale à trois ou quatre départemens français. Les Balkaniques, qui avaient tout préparé de longue main, ont été prêts en quelques jours, tandis que les malheureux Turcs ne l’ont jamais été aussi longtemps que la guerre a duré. Mais, à mesure qu’elle se prolongeait, ils ont continué de mobiliser, et ils ont continué encore quand elle a été terminée ou a paru l’être, de sorte que, le jour est venu où ils ont pu mettre en ligne 300 000 hommes, — c’est du moins le chiffre qu’ils donnent, — et une armée qui était en partie toute fraîche. On comprend à quelles tentations cet état de choses soumet aujourd’hui la Porte, surtout lorsqu’on songe qu’elle est entre les mains de la Jeune-Turquie. Pourrait-elle résister à la coahtion d’hier, si elle était encore vivante et agissante ? C’est une question qui n’a plus d’intérêt puisqu’elle est dissoute et que la défection de la Bulgarie, son entente probable avec Constantinople, son impatient et aveugle appétit de vengeance permettent maintenant à la Porte d’envisager l’hypothèse où elle n’aurait plus affaire qu’à un seul ennemi à la fois.

Si telle est la situation, on s’explique mieux les événemens qui se sont passés ces dernières semaines. Nous disons que la Porte, qui a eu l’année dernière trois ennemis à combattre en même temps, pourrait bien n’en avoir qu’un aujourd’hui si elle provoquait habilement un conflit entre elle et lui. Les négociations qu’elle poursuit avec la Grèce, en vue de la paix définitive, marchent avec une lenteur singulière. Il est bien vrai que les négociations marchent toujours lentement avec la Porte : cette fois pourtant, la lenteur est si grande, alors que la paix, préparée à Londres et à Bucarest, pourrait se faire si vite, qu’on commence à se demander s’il n’y a pas à Constantinople quelque mauvais dessein contre la Grèce, et si ce dessein n’est pas favorisé par la Bulgarie. On a été surpris, après la signature de la paix turco-bulgare, des télégrammes de congratulation qu’ont échangés le roi Ferdinand et le Sultan. Il y a quelques jours à peine, le Roi poussait des clameurs presque sauvages à l’idée des sacrifices qu’on lui imposait : ils sont encore plus grands qu’alors, et le Roi s’y résigne avec toutes les civilités du protocole. Comment n’en être pas frappé, et comment ne pas l’être aussi lorsqu’on voit les Bulgares éviter d’occuper les territoires à eux dévolus, par lesquels l’armée turque aurait à passer pour porter un coup droit à la Grèce ? Mais, dira-t-on,