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sionnée, et elle avait attiré beaucoup de monde au Palais-Bourbon. Les gens naïfs croyaient que le ministère pourrait être renversé : c’était mal connaître notre monde politique en général et les radicauxsocialistes en particulier

Combien de fois n’avons-nous pas dit qu’il n’y a pour le ministère qu’une pensée, qui est de vivre jusqu’aux élections, et pour les socialistes et radicaux-socialistes qu’une préoccupation, qui est de le faire vivre jusque-là ! Entre eux, il peut y avoir une brouille passagère, des accès de mauvaise humeur, des emportemens, des impatiences, mais une rupture, non. Le langage trop expressif de M. Maginot avait provoqué une de ces émotions subites dont on n’est pas toujours maître, et, s’il y avait eu un vote immédiat, Dieu sait ce qu’il aurait été : mais, pour peu qu’on ait le temps de la réflexion, tout s’arrange. Après s’être juré de voter contre le ministère, s’il ne leur donnait pas pleine satisfaction, les socialistes se sont empressés de chercher une planche de salut à lui tendre. On ne l’a pas obligé à se désavouer, à retirer ce qu’il avait dit sur la loi de trois ans, à subir une humihation que peut-être il n’aurait pas acceptée ; on s’est contenté de proposer une Commission d’enquête, qui collaborerait avec lui pour le grand bien de l’armée. Commission et gouvernement ne manqueraient pas, grâce à un effort commun, de découvrir les véritables causes du mal et d’y apporter un remède : il serait convenu d’avance que la cause du mal serait attribuée à l’ancien ministère et le remède au nouveau. Mais le mal, M. Maginot en avait indiqué avec précision l’étendue, le caractère, l’évolution et il s’était fait fort de le guérir ; à la séance suivante, M. Noulens a repris le même thème avec plus d’autorité ; une enquête était donc inutile, et elle aurait eu toute l’apparence, qu’on le voulût ou non, d’un acte de défiance envers le gouvernement. On espérait que celui-ci n’y mettrait pas d’amour-propre. Cependant, comme il faut tout prévoir, même l’invraisemblable, M. Abel Ferry a eu l’ingénieuse idée de proposer que l’enquête fût faite, non pas par une Commission spéciale qui serait élue pour cela au milieu des préoccupations et des passions de l’heure présente, mais par une Commission préexistante qui étudie, sans faire de bruit, les questions d’hygiène. Le procédé était de plus en plus bénin, bénin, à l’égard du ministère. Finalement, la Chambre s’est trouvée en présence de deux propositions : celle d’une enquête spéciale faite par M. Augagneur, et celle d’une enquête sans caractère politique faite par M. Ferry. On a vu alors combien on aurait eu tort de craindre de se heurter aux susceptibilités du gouvernement. M. Doumergue n’est pas entré dans des dis-