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eu une majorité de 114 voix ! Si on analyse le scrutin, la signification en devient encore plus apparente. On s’aperçoit qu’un assez grand nombre de députés qui, le lendemain de la formation du ministère, se montraient tout disposés à partir en guerre contre lui et s’exprimaient sur son compte avec une juste sévérité, lui ont donné subitement leur confiance. Faut-il croire que leur opinion intime se soit modifiée ? Non sans doute, et s’ils étaient bien sûrs de renverser le Cabinet en votant contre lui, ils s’en donneraient vraisemblablement la satisfaction. Mais ils ont peur de le manquer et encore bien plus, dans ce cas, de n’être pas manqués par lui aux élections du 26 avril. Tout le monde sait, en effet, que les préfets ont reçu des instructions précises pour prendre une part active aux opérations électorales. Ils se sont aussitôt mis en campagne, et le vote de la Chambre, à l’examiner dans les détails, montre qu’ils ont déjà passé plus d’un traité de paix avec plus d’un député qui n’étaient pas assurés de leur réélection. Les choses en étant là, il serait naïf d’espérer encore qu’un accident heureux pourrait nous débarrasser du ministère. Les marchés sont conclus, les positions sont prises, la parole n’appartient plus qu’au pays.

Nous avons déjà parlé, il y a quinze jours, de la discussion qui se poursuivait alors au Sénat. Pour simplifier les choses, il suffit de rappeler que le dissentiment entre M. le ministre des Finances et la Commission avait l’objet suivant : le ministre voulait faire voter, sous la forme de cédules, un impôt sur tous les revenus, avec le couronnement d’un impôt général complémentaire, tandis que la Commission proposait de détacher deux titres du projet, les seuls dont l’étude fût achevée, de les voter et de s’en tenir là pour le moment. Ces deux titres sont ceux qui se rapportent à la réforme de l’impôt foncier sur les propriétés bâties et non bâties et à l’impôt sur les valeurs mobilières. Vouloir faire plus, et surtout vouloir faire tout à la fois, était se condamner à l’avortement sur toute la ligne. M. Ribot, en particulier, l’a démontré avec une clarté à laquelle on ne pouvait se soustraire qu’en fermant de parti pris les yeux à la lumière. C’est malheureusement ce qu’a fait M. Caillaux. Pourquoi ? Il est difficile de pénétrer dans la complexité de sa conscience, d’ailleurs prodigieusement mobile, et nous ne voudrions pas porter ici un jugement téméraire ; mais la suite a prouvé que M. Caillaux n’était pas libre, que sa volonté ne lui appartenait pas tout entière, et qu’elle obéissait finalement à des influences du dehors. On a pu se demander quelquefois si c’était bien lui qui était ministre des Finances, ou si ce n’était pas plutôt M. Jaurès. Or le parti socialiste unifié tient essentiellement à ce que