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un silence très lourd s’est prolongé quelques minutes ; mais enfin elle est venue et elle a été catégorique ; M. Monis a répondu : Non !

La majorité ministérielle a exulté. Il s’en est fallu de peu qu’on ne fît des gorges chaudes sur ce document que personne n’avait vu dans son texte original et dont on était en droit de dire qu’il n’existait pas. C’est alors que M. Barthou est monté à la tribune et aussitôt la scène a changé. Qu’allait dire M. Barthou ? Après quelques paroles préparatoires, il a tiré un papier de sa poche et il a dit : — Le document, le voilà. — Et il l’a déposé sur la tribune. Naturellement on lui a demandé de le lire et il ne s’en est pas fait prier. Le document était explicite au delà de tout ce qu’on avait pu croire. C’était une confession infiniment douloureuse ! Le procureur général, M. Fabre, y racontait dans quelles conditions M. Monis, président du Conseil, lui avait impérativement enjoint d’obtenir du président de la chambre des appels la remise de l’affaire Rochette. M. Monis avait ajouté que c’était au nom de M. Caillaux, ministre des Finances, qu’il faisait cette demande. M. Fabre et, après lui, le président Bidault de l’Isle ont essayé de résister ; mais ils ne sont des héros ni l’un ni l’autre, et ils ont finalement cédé. — Jamais, disait M. Fabre, à la fin de sa note, jamais je n’ai éprouvé une pareille humiliation. — Sentiment bien naturel ! A la lecture du document, faite par son détenteur, le désarroi de la Chambre a été extrême. Les ministériels, déconcertés, mais furieux, tournaient leur colère contre M. Barthou et lui demandaient comment la pièce était en sa possession ; les autres considéraient cette question comme secondaire et s’attachaient surtout à l’intérêt que présentait la pièce elle-même ; les interjections des ministres montraient qu’ils la connaissaient fort bien, et qu’ils n’en avaient nié l’existence que parce qu’ils l’avaient crue détruite. Mais tout le monde a été d’accord pour soumettre tant d’obscurités à une Commission d’enquête qui ne pourrait pas manquer de faire la lumière. Justement, on en avait une sous la main. On l’avait nommée il y a quelques années, toujours pour faire la lumière, mais cette fois contre M. Lépine, préfet de police, qui avait provoqué, disait-on, une plainte en vue de faire arrêter Rochette. La Commission, préoccupée des dangers que présente l’arrestation préventive, s’est alors intéressée à Rochette au point de le faire remettre en liberté. M. Briand s’est donné le malin plaisir de le rappeler à M. Jaurès que ce souvenir a courroucé. Mais cela n’empêchait pas d’employer la même Commission à une fin différente. N’était-elle pas bonne à tout faire ? N’était-elle pas toujours