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présidée par M. Jaurès, promu, définitivement semble-t-il, à la dignité de grand justicier de France ?

Comment le fameux document était-il entre les mains de M. Barthou et celui-ci avait-il le droit d’en user comme il l’a fait ? On a soulevé cette question subsidiaire pour détourner les esprits de la question principale, celle qui met en cause M. Monis et M. Caillaux. Il suffit de dire en deux mots que la note de M. Fabre avait été remise par lui à M. Briand, alors garde des Sceaux, et passée par M. Briand à M. Barthou, son successeur à la Chancellerie. Pourquoi M. Barthou n’a-t-il pas fait de même et ne l’a-t-il pas passée à M. Ratier qui lui a succédé ? C’est sans doute parce que l’affaire Rochette, qui n’était pas terminée au moment où M. Briand a quitté le ministère, l’était au moment où M. Barthou l’a quitté. La pièce, qui n’était pas une pièce d’archive et n’appartenait à aucun dossier, pouvait alors indifféremment être détruite ou emportée par le ministre sortant. M. Briand a dit devant la Commission d’enquête que sans doute il l’aurait détruite. M. Barthou l’a conservée, sans que rien autorise à dire qu’il ait jamais eu l’intention d’en faire un mauvais usage. En tout cas, celui qu’il en a fait a été excellent. Quelques jours auparavant, à la veille de sa mort, MM. Briand et Barthou étaient allés chez M. Calmette, qui avait une copie du document, — celle sans doute qu’a vue M. Delahaye, — et ils l’avaient instamment prié de ne pas la publier. M. Calmette avait donné sa parole d’honneur de n’en rien faire et, quand il donnait sa parole, il la tenait. Mais après sa mort, la situation était tout autre. La pièce avait été connue par ailleurs ; un résumé presque textuel en avait été publié dans un journal ; il ne s’agissait donc plus que de savoir si ce résumé était exact. M. Barthou a pris la résolution que l’on sait et il l’a exécutée bravement. Au point où on en était, un intérêt supérieur dominait tout, et le moment était passé de s’arrêter aux considérations et aux scrupules accessoires. Le pays devait savoir toute la vérité.

Ici se place un épisode plus intéressant encore pour l’avenir que pour le présent et dont il faut dire un mot. La Commission d’enquête qui a déjà opéré, il y a quelques années, dans l’affaire Rochette, n’a certes pas fait la lumière et il faut convenir qu’il lui aurait été difficile de la faire, car on lui a apporté plusieurs fois des témoignages qu’il est permis de qualifier de mensongers. Cela vient, a-t-on dit, de ce que les pouvoirs de ces commissions sont insuffisans ; elles appellent des témoins, elles leur posent des questions, elles entendent leurs réponses, elles établissent entre elles et eux des conversations