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formelle que, cette fois, la remise était accordée d’avance. Le fruit était mûr, il n’y avait qu’à le cueillir. Me Bernard ne pouvait pas trahir les intérêts de son client ; on lui disait d’agir, il a agi, et les choses se sont passées comme on le lui avait promis.

Mais quel était ce on qui était intervenu auprès de lui ? Quel était l’homme masqué, si bien instruit de ce qui se passait à la Chancellerie et dont la parole méritait d’être crue ? C’est ici qu’est apparue l’infranchissable barrière du secret professionnel. Me Bernard a mis un doigt sur sa bouche jusqu’à ce moment si diserte et a déclaré qu’on n’obtiendrait pas de lui un mot de plus. Cherchez, semblait-il dire à la Commission : il s’est contenté d’ajouter que son informateur n’appartenait ni à la politique ni à la presse. M. Maurice Barres lui fait alors observer que tout le monde croirait qu’il avait eu affaire à Rochette lui-même, à quoi il n’a répondu ni oui ni non. Il faut donc conclure de la déposition de Me Bernard qu’il y a, en dehors de la politique, des hommes qui ne sont pas sans accointances avec elle, qui, par elle, en ont avec la justice, servent de trait d’union entre l’une et l’autre, subordonnent celle-ci à celle-là et, sans se montrer, en se cachant même, introduisent dans nos institutions un virus de corruption très actif. Rochette était un de ces hommes. La supposition que M. Maurice Barrès a faite à son sujet n’a pas tardé à être confirmée ; et par qui ? par Rochette lui-même. Dans une lettre qu’il a écrite de Lucerne à M. Jaurès, il a déclaré être l’auteur du renseignement qui a permis à Me Bernard de demander, cette fois à coup sûr, la remise de l’affaire. Ainsi, c’est Rochette qui tenait les fils de toutes ces marionnettes et les faisait agir les unes sur les autres, en agissant lui-même sur la première par ses moyens propres. Ce n’est pas Me Bernard qui avait menacé d’étouffer à l’audience le scandale de l’affaire Rochette sous l’accumulation de beaucoup d’autres ; ce n’est pas lui et il en est incapable ; mais c’est Rochette, et il s’en vante dans sa lettre. On comprend maintenant pourquoi M. Caillaux a parlé à M. Monis, M. Monis à M. Fabre, M. Fabre à M. Bidault de l’Isle ; on voit d’où est parti le premier mouvement et ce qui a déterminé le dernier ; mais la rougeur monte au front quand on fait ces constatations. Tout le reste est du verbiage. La Commission a entendu plusieurs fois M. Monis et M. Caillaux, qui ont fini par lui faire part de leurs affaires de famille, de leur situation de fortune, de leurs projets d’avenir et qui ont chicané longuement, subtilement, éperdument, pour fixer le moment exact de telle visite ou de telle démarche. À quoi bon et qu’est-ce que cela nous fait ? La Commission