Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/881

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
877
UN VILLAGE D’ALSACE-LORRAINE EN 1914.

çaise, mais qui était momentanément troublée dans ses sentimens, tentait une expérimentation loyale du fait accompli. L’expérience fut malheureuse ; la collaboration avec le Centre n’amena que des déceptions, et les quelques avantages obtenus produisirent des résultats imprévus, inverses de ceux qu’on avait escomptés.

Les Alsaciens-Lorrains s’essayaient timidement à participer à la vie générale de l’Empire, mais comme Alsaciens-Lorrains, avec tout leur passé, en toute loyauté d’ailleurs. L’Allemagne, toujours avec le manque de doigté et l’incompréhension qui la caractérisent, s’était attendue à ce qu’ils agissent en Allemands, comme des Allemands, tout de suite, sans transition, et surtout à la vraie manière des Allemands, c’est-à-dire dans un esprit hostile à la France. Le malentendu fut immédiat.

Le Centre catholique était surtout allemand, lui aussi. Les Alsaciens-Lorrains avaient espéré se retrouver avec lui dans les sphères élevées de la religion et y nouer des accords. Ils constatèrent que le Centre, devenu un parti gouvernemental, avait perdu de sa piété pure pour cultiver trop assidûment l’intérêt germanique. Lorsqu’on discuta la constitution du Pays d’Empire, le concours du Centre ne fut pas celui qu’on attendait. En général, la constitution causa un gros désappointement. L’Allemagne répondait par un statut de défiance aux premières avances d’un peuple malheureux, fier, et qui semblait d’autant plus facile à gagner qu’il était alors quelque peu désorienté.

Cette expérience avait néanmoins procuré certains avantages aux deux provinces. De manière générale, le vainqueur avait adouci sa loi. Il fut plus tolérant pour les associations. Il permit aux Alsaciens-Lorrains de se souvenir plus ouvertement de leur passé. Il autorisa assez fréquemment des sociétés françaises à franchir la frontière. Il laissa jouer la Marseillaise. Et on revit nos trois couleurs déployées dans des cérémonies.

Pour les Alsaciens-Lorrains, user de ces tolérances n’avait d’abord été que l’exercice du droit, qu’on ne paraissait pas leur contester au début, de se souvenir. Mais constatant que les méfiances persistaient, ils en furent offensés, et laissèrent leur cœur se réjouir aux paroles, aux accens qu’ils entendaient, aux couleurs bien-aimées qu’ils revoyaient à nouveau. Le mendiant qui jouait la Marseillaise sur son orgue de Barbarie était acclamé, et la jeunesse reprenait en chœur le vieux chant de