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pris pour un sauvage. Sa femme ne lui permet d’être pangermaniste que hors de la maison. Son fils aîné est officier dans un régiment de cavalerie : c’est un Allemand mesuré, plein d’égards pour nous et comme sympathique à la France. L’autre fils incline visiblement à préférer la France. Les deux filles n’ont voulu épouser que des Français.

Un autre petit fonctionnaire, en activité celui-là, a épousé une Française des environs de Pont-à-Mousson. Il est le plus charmant de tous ses collègues pour les indigènes, et ses fillettes parlent français, vont fréquemment en France, en un mot penchent vers la France.

Enfin, tout dernièrement, le fils d’un petit cultivateur, venu de Prusse Rhénane, a épousé une Française gentille, mais pauvre. Ce bon gros garçon devenait autrefois tout rouge au seul nom des Français. Il se transforme ; il se prend de civilité avec nous ; il nous parle dans notre langue. Puissance d’attraction de la civilisation française !

Toute la question est là. C’est ce que M. Maurice Barrès a si bien fait toucher du doigt dans ses écrits sur nos malheureuses provinces. La civilisation française, supérieure, plus vieille, plus fine, héritière directe de ce qu’il y a de plus grand à travers les âges, ne peut s’incliner devant cette nouvelle venue qui a toutes ses preuves à fournir et à qui son orgueil seul donne l’illusion de titres qu’elle n’a pas, ou qu’on ne lui reconnaît pas. Elle résiste victorieusement ; elle repousse et subjugue le vainqueur lui-même.

Conclusion : la germanisation ne fait presque aucun progrès dans les campagnes. Les Allemands ne le constatent que trop : c’est ce qui les irrite et rend la situation si dangereuse. Ils reviennent présentement aux mesures de défiance et de violence. Ce n’est qu’un commencement. Quand ils seront tout à fait convaincus de leur défaite irrémédiable, ils voudront ressaisir la victoire d’une autre manière, de la seule qui soit à leur portée.

La France fera bien de se tenir prête pour ce moment-là[1].

Un Alsacien.
  1. Notre collaborateur avait vu juste ; nous n’avons pas besoin de dire que son article était écrit avant les événemens actuels ; nous n’avons eu rien à y modifier. [N. D. L. D.]