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parvint à déterminer les formes des mammifères qu’il classa dans la série animale, en suivant leurs transformations successives jusqu’à l’ère moderne. C’est ici, parmi ces menhirs et ces dolmens, qu’on se rappelle avec une sorte d’orgueil, lorsqu’on a l’âme d’un Languedocien, les nobles discussions de Cuvier et de Geoffroy-Saint-Hilaire, la parole éloquente de Quatrefages, qui fut maintes fois l’écho de la patrie souterraine révélant à notre âge les richesses et les secrets d’un passé infini.

Des grottes qu’interrogea le savant Quatrefages, la plus célèbre, une des plus belles du monde, se trouve en haut du Roc de Taurach, près de Saint-Bauzille-du-Putois : la Baume des Demoiselles. Un bosquet de chênes protège le gouffre, où l’on ne peut pénétrer, à la lueur des torches, qu’au moyen de cordes. Après un couloir étroit, où nous rampons comme des larves, d’immenses salles s’ouvrent dans les entrailles du Roc, et par larges gradins décroissans, sur les parois, aux voûtes du granit, les stalactites affectent des formes d’architecture, d’ameublement, quelquefois la figure de l’homme, celle d’une bête. Ici, le vaisseau d’une cathédrale, là un trône gigantesque enveloppé de rideaux, la porte à mâchicoulis d’un château-fort, quelques piliers à candélabres, des autels revêtus de diamans et de cristaux. Un chaos de rochers s’écroule dans une plaine : par la plaie béante de l’un de ces rochers, nous échappons au chaos, et un défilé nous conduit dans une autre vallée, dont les flambeaux de résine troublent à peine l’obscurité opaque. Et voici des clochers et des obélisques d’albâtre, des cascades d’eau congelée, des draperies et des dentelles se déroulant de colonne en colonne, et tout en haut, contre les voûtes sonores, des nuages couleur d’argent. Au milieu d’une sorte de chapelle nue, apparaît sur une pyramide une femme colossale portant un enfant entre ses bras.

L’abîme descend toujours dans le roc, vers le cœur lointain de la terre, dont il semble qu’on perçoive quelquefois le grondement sourd. Tandis qu’autour de nous l’eau glacée des stalactites tombe goutte à goutte, la pensée de la mort nous saisit, et le frisson de la peur. Comment, dans les ténèbres de ces cavernes remplies de mystères redoutables, le peuple de la Cévenne n’eût-il pas cru aux divinités qui ne se manifestent que par des miracles ? La foi simple, passionnée, se maintient chez ce peuple, ainsi que le feu dans la terre. Le protestantisme